Une trajectoire historique sous contraintes
Lorsque le dinar algérien est apparu à 4,94 dinars pour un dollar en 1970, l’idée même d’un marché parallèle semblait anachronique. Pourtant, la décennie 1990, marquée par l’ajustement structurel négocié avec le FMI, ouvre la voie à une cotation plus flexible et, dans le même mouvement, à un écart inédit entre taux bancaire et rue. À la fin des années 2000, la différence flirtait déjà avec 50 %; elle dépasse aujourd’hui 70 %, l’euro ayant franchi fin juin 2025 la barre symbolique des 260 dinars sur les trottoirs d’Alger contre 152 dinars dans les guichets officiels. Derrière la statistique se lit une histoire d’adaptations successives : choix de politique de change, dépendance aux hydrocarbures et recherche permanente d’un équilibre précaire entre stabilité sociale et orthodoxie financière.
Les moteurs structurels d’un écart persistant
Le premier moteur est d’ordre productif : une économie dépendante du pétrole, dont la valeur ajoutée hors hydrocarbures reste limitée, génère une offre de devises concentrée et vulnérable aux chocs. Le second tient au comportement des agents : la compression de l’inflation statistique, l’encadrement strict des allocations en devises – encore plafonnées entre 100 et 750 euros annuels – et la faible profondeur du marché financier incitent ménages et entreprises à se tourner vers l’informel pour sécuriser leurs projets de voyage, d’importation ou d’épargne. S’y ajoute une circulation fiduciaire hors banques en forte expansion, passée de 5 400 milliards de dinars fin 2019 à plus de 8 300 milliards en 2023, signal d’une confiance limitée dans le système bancaire. Enfin, la surfacturation de certaines importations, la montée d’un commerce non régulé et la valorisation de l’immobilier comme valeur refuge complètent un cocktail qui alimente la demande structurelle de devises.
Conséquences macroéconomiques et sociales
Le dualisme du marché de change brouille le signal-prix adressé aux investisseurs. D’un côté, l’État tient un taux officiel nécessaire au service de la dette et à l’importation de biens essentiels ; de l’autre, la sphère informelle fixe un cours reflétant les anticipations d’inflation et de dévaluation. Cette asymétrie renchérit le coût de la vie, pénalise la compétitivité des entreprises qui s’approvisionnent au marché libre et fragilise le pouvoir d’achat des ménages, surtout lorsque les transferts des résidents à l’étranger se contractent. Elle accroît aussi l’attrait de la thésaurisation, aggravant la désintermédiation bancaire. Sur le plan diplomatique, la divergence complique la lecture externe des fondamentaux algériens, car elle nourrit une perception de risque qui rejaillit sur la notation souveraine.
Les leviers d’une convergence progressive
La réduction de l’écart ne saurait reposer sur un geste technique unique ; elle appelle une stratégie graduelle et cohérente. Le renforcement de la gouvernance budgétaire, la rationalisation de la dépense publique et une réforme fiscale destinée à élargir l’assiette peuvent stabiliser les anticipations inflationnistes. La création d’emplois formels à haute valeur ajoutée – dans l’agro-industrie, la transition énergétique ou le numérique – augmenterait l’offre domestique et limiterait l’exode de capitaux. Parallèlement, l’assouplissement encadré du régime de change, soutenu par un ciblage clair de l’inflation, rendrait le taux bancaire plus crédible. La titularisation du foncier et la simplification des procédures douanières réduiraient la prime de risque qui légitime le recours au marché parallèle.
Restaurer la confiance : l’élément intangible
Au-delà des mécanismes comptables, la convergence des taux dépend d’un capital immatériel : la confiance. Il s’agit de convaincre ménages et opérateurs que la monnaie nationale préserve leur pouvoir d’achat et que le système bancaire protège l’épargne. Cette confiance passe par la transparence statistique, la communication régulière sur les objectifs monétaires et la capacité à sécuriser les transactions économiques. L’expérience de pays comparables montre qu’une réforme réussie s’adosse à un dialogue social inclusif et à un accompagnement des acteurs de l’informel vers des statuts juridiques simplifiés. Le dinar pourra alors perdre sa double vie et redevenir le miroir fidèle de la valeur créée dans l’économie réelle.