Une dynamique territoriale consolidée
L’Acte III de la décentralisation congolaise, enclenché depuis la révision constitutionnelle de 2015 et la promulgation de la loi organique sur l’administration locale, continue de façonner la gouvernance interne du Congo-Brazzaville. Dans ce pays de trente-cinq départements et six communes urbaines, l’État a déjà consenti à un transfert graduel de compétences en matière d’urbanisme, d’assainissement ou encore de développement économique. Les autorités nationales considèrent ce mouvement comme le corollaire d’une modernisation institutionnelle voulue par le président Denis Sassou Nguesso, soucieux de rapprocher la décision publique du citoyen et de rationaliser l’action administrative.
Le regard critique mais constructif du professeur Girardon
Invité à Brazzaville dans le cadre d’un atelier de renforcement des capacités du groupe parlementaire PCT-Sénat, le professeur Jean Girardon, maire de Mont-Saint-Vincent et enseignant à la Sorbonne, a loué « l’audace d’un pays jeune où la culture démocratique se construit à travers l’exercice concret des libertés locales ». Devant le président du Sénat Pierre Ngolo, l’universitaire a néanmoins relevé un écueil récurrent : « Octroyer des compétences non assorties de budgets revient à condamner l’élu local à l’impuissance ». Sa remarque ne s’inscrit pas dans la critique acerbe, mais dans l’esprit d’un partenariat technique qui répond au souhait congolais de se soumettre au benchmarking international afin de capitaliser les meilleures pratiques.
L’équation budgétaire des collectivités
Les dotations globales de fonctionnement allouées par l’État congolais ont progressé de près de 12 % entre 2020 et 2023, signe tangible de la volonté gouvernementale de consolider la base financière des territoires. Cependant, la charge nouvelle liée à la compétence eau-assainissement, par exemple, excède parfois le rendement fiscal local. Les maires plaident dès lors pour un mécanisme de péréquation horizontale qui mutualiserait, entre collectivités, une partie des recettes issues des activités extractives. Cette piste, étudiée par le ministère de l’Économie, s’inspire du modèle camerounais tout en restant compatible avec les impératifs de soutenabilité budgétaire exigés par les bailleurs multilatéraux.
Le statut des élus, ferment de confiance
Le texte de loi relatif au statut de l’élu local, examiné en commission mixte depuis avril, vise à sécuriser la carrière des conseillers municipaux et départementaux. Outre l’instauration d’un régime d’indemnités indexé sur la taille démographique, le projet introduit une charte de déontologie destinée à prévenir les conflits d’intérêts. « Un élu respecté et correctement protégé devient plus disponible pour l’intérêt général », rappelle le professeur Girardon, saluant un équilibre entre exigence éthique et attractivité des mandats. Les partenaires techniques, dont la Banque africaine de développement, considèrent qu’un tel encadrement augmente la prévisibilité de la gouvernance locale, condition essentielle à l’afflux d’investissements publics-privés.
Coopérations croisées et gouvernance à plusieurs niveaux
Parce que le tourisme, la transition énergétique ou la gestion des bassins versants débordent naturellement les limites communales, les collectivités congolaises planchent sur des formations interterritoriales. Le Sénat réfléchit à un dispositif d’agences de développement locales, inspiré du modèle rwandais, qui fédérerait communes et départements autour de projets d’infrastructure régionale. La diplomatie municipale, déjà illustrée par des jumelages avec des villes françaises ou marocaines, favorise le partage de compétences techniques sans remettre en cause la souveraineté nationale. Dans l’esprit des autorités congolaises, la décentralisation ne s’oppose donc pas à l’État unitaire : elle en est le prolongement opérationnel, destiné à renforcer la cohésion nationale et à accélérer l’intégration régionale au sein de la CEEAC.
Perspectives et responsabilité partagée
Le gouvernement prépare pour fin 2024 une loi de programmation financière pluriannuelle qui liera explicitement transferts de compétences et dotations correspondantes. Les parlementaires et l’exécutif convergent sur l’idée qu’une décentralisation efficace reste tributaire de la mobilisation conjointe de l’État, du secteur privé et de la société civile. L’approche graduelle, privilégiée par Brazzaville afin de préserver l’équilibre macro-économique, entend éviter l’écueil d’une dévolution précipitée. Dans un contexte où l’Afrique centrale cherche de nouveaux relais de croissance, l’aventure congolaise offre le laboratoire d’une gouvernance territoriale pragmatique, centrée sur la performance publique plutôt que sur la seule proclamation de principes.