Congo-Brazzaville et la quête d’une voix africaine au sommet de l’Unesco
À un peu plus d’un an de la 43ᵉ session de la Conférence générale de l’Unesco attendue à Samarcande en novembre 2025, Brazzaville affine sa stratégie de persuasion. Le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, a porté à Dar es Salaam le message personnel du président Denis Sassou Nguesso en faveur de la candidature de Firmin Edouard Matoko à la direction générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Cet ancien recteur de l’Université Marien-Ngouabi, aujourd’hui Sous-directeur chargé de la priorité Afrique et des relations extérieures à l’Unesco, incarne la possibilité d’une première alternance africaine depuis l’ère Amadou-Mahtar M’Bow (1974-1987), sans contester l’héritage de la directrice générale sortante, Audrey Azoulay.
La République du Congo mise sur le parcours international de son compatriote, qui a déjà piloté plusieurs initiatives phares telles que le partenariat Global Priority Africa, pour convaincre les 193 États membres que la gouvernance culturelle mondiale gagnerait à se rapprocher des réalités du Sud. À Brazzaville, l’entourage présidentiel rappelle que l’Unesco a son siège régional de santé publique dans la capitale congolaise, ce qui nourrit une logique d’écosystème diplomatique voué à renforcer la visibilité du pays.
Dar es Salaam, scène d’une entente diplomatique feutrée
Lors de l’audience accordée le 8 juillet par la présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan, Jean-Claude Gakosso a déroulé les principaux arguments en faveur de Matoko. Selon le chef de la diplomatie congolaise, « porter un Africain à la tête de l’Unesco, c’est donner un souffle nouveau à la diversité culturelle mondiale », une formule que l’entourage diplomatique tanzanien accueille avec prudence mais intérêt, consciente qu’un consensus continental accroîtrait la marge de négociation de l’Union africaine sur d’autres dossiers multilatéraux.
Le message de Denis Sassou Nguesso à son homologue est resté confidentiel, mais plusieurs sources proches des négociations indiquent qu’il évoque des convergences en matière d’éducation numérique et de sauvegarde du patrimoine swahili, deux thématiques chères à la Tanzanie. La rencontre a également permis de tester le terrain du futur lobbying régional, le vote au scrutin secret de l’Unesco nécessitant une majorité simple puis qualifiée au Conseil exécutif avant la ratification par la Conférence générale.
La coopération Sud-Sud redessinée : du ciel aux projets d’affaires
Au-delà de l’Unesco, Brazzaville et Dar es Salaam souhaitent transformer la connivence politique en dividendes économiques tangibles. La suggestion de la présidente tanzanienne d’étendre la desserte de la compagnie Air Tanzania vers Brazzaville reconfigure les corridors aériens d’Afrique centrale et de l’Est. Une ligne directe ouvrirait un marché touristique de près de 60 millions d’habitants et faciliterait le fret de produits agro-alimentaires, secteur où la Tanzanie se montre excédentaire.
Côté congolais, les autorités envisagent d’exploiter la façade atlantique du pays comme point de sortie alternatif pour les minerais et produits agricoles tanzaniens, atténuant la congestion des ports de Dar es Salaam et de Mombasa. À moyen terme, un accord de coopération douanière se profile, axé sur la réduction des barrières non tarifaires, thématique régulièrement évoquée au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe.
Convergence sanitaire : Brazzaville, capitale africaine de l’OMS
Une autre passerelle, plus symbolique encore, s’établit autour du Bureau régional Afrique de l’Organisation mondiale de la santé, domicilié à Brazzaville depuis 1952. La nomination du professeur tanzanien Mohamed Yakub Janabi à la tête de cette institution renforce le binôme Congo-Tanzanie dans les enceintes onusiennes. « Nous accompagnons pleinement le Professeur Janabi dans sa prise de fonctions », a souligné Jean-Claude Gakosso, arguant qu’une synergie entre Unesco et OMS pourrait améliorer la diplomatie scientifique continentale.
Le diplomate congolais voit même dans cette coïncidence de calendrier la preuve d’une confiance renouvelée des Nations unies envers les capitales africaines. La santé publique, priorisée lors des épisodes pandémiques récents, sert désormais d’argument narratif pour justifier une candidature culturelle, créant un récit de cohérence qui n’a pas échappé aux observateurs de la Genève internationale.
Vers Samarcande : scénarios et enjeux d’une élection décisive
La route vers l’Ouzbékistan demeure semée d’incertitudes. Traditionnellement, les candidatures à la direction générale de l’Unesco se cristallisent tardivement, et plusieurs capitales européennes ou asiatiques pourraient entrer dans la course. Brazzaville mise donc sur une stratégie précoce de coalition, en ciblant en priorité les États d’Afrique de l’Est, du Golfe et de la Francophonie, où la personnalité modératrice de Firmin Matoko est réputée appréciée.
Des diplomates africains interrogés à Addis-Abeba estiment qu’une candidature unique du continent renforcerait ses chances, à condition qu’elle s’accompagne d’engagements sur le financement du Fonds pour le patrimoine mondial, dossier où Brazzaville a déjà consenti une hausse de sa contribution volontaire. En parallèle, le Congo veille à ménager les équilibres géopolitiques, s’abstenant de tout discours de rupture afin de rassurer les bailleurs traditionnels.
Au-delà du scrutin, l’objectif paraît clair : inscrire la diplomatie congolaise dans la durée, en capitalisant sur les convergences éducation-santé-culture pour projeter une image de stabilité et de compétence. Érigée en plaque tournante des agences onusiennes en Afrique centrale, Brazzaville entend démontrer que sa voix compte lorsqu’il s’agit de repenser la gouvernance globale. De Dar es Salaam à Samarcande, la campagne est lancée, et le chronomètre diplomatique tourne.