Un chantier stratégique pour la souveraineté numérique
Au bord du fleuve, derrière les grilles encore scintillantes de l’ancien site de l’UAPT à Bacongo, se dresse la carcasse quasi achevée du futur Datacenter national. Le bâtiment moderne, trois niveaux et un sous-sol, attend ses derniers câbles pour devenir le cœur numérique du Congo.
Lancé en 2021, le chantier vise à stocker, héberger et traiter les données des administrations, des entreprises et des citoyens sur le sol congolais. Pour les autorités, l’infrastructure renforcera la souveraineté et la sécurité numériques, tout en réduisant les coûts d’hébergement à l’étranger.
Conçu pour abriter des salles serveurs climatisées, des centres de contrôle, des auditoriums et un local énergie, l’édifice doit aussi servir de catalyseur aux start-up et aux opérateurs télécoms qui bénéficieront de latences réduites et d’un environnement conforme aux normes internationales Tier III.
95 % d’avancement mais attente de financement
Le projet est cofinancé par la Banque africaine de développement, majoritaire, et par l’État congolais qui assure la contrepartie nationale. Selon le calendrier initial, la livraison était prévue pour la fin 2023 après vingt-quatre mois de travaux confiés à la société chinoise Sumec.
Aujourd’hui, 95 % des travaux sont bouclés, supervision incluse. Reste l’installation de baies additionnelles, des tests de redondance énergétique et la remise des clés. Ces opérations exigent, d’après l’entreprise, le décaissement du dernier reliquat budgétaire promis par la partie congolaise.
L’enveloppe attendue n’a pas été rendue publique, mais, dans un courrier adressé le 12 octobre au ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Sumec estime que l’impasse financière met en danger le matériel déjà livré et immobilise plus de cent techniciens.
Sumec lance un ultimatum au gouvernement
« Nous accordons un délai ferme jusqu’à la fin du mois. Au-delà, nous devrons replier nos équipes », a déclaré un représentant de Sumec lors d’une visite de chantier conduite le 15 octobre par le ministre Léon Juste Ibombo. L’avertissement a résonné comme un ultimatum.
Selon l’entreprise, si la reprise intervient aussitôt après le versement, la mise en service pourrait être effectuée en quarante-cinq jours, juste le temps d’installer les groupes électrogènes de secours et d’achever la configuration des pare-feux.
Réponse et garanties des autorités congolaises
Face aux caméras, le ministre a reconnu le blocage mais s’est voulu rassurant. « Le gouvernement mobilise déjà les services compétents pour lever les contraintes budgétaires. Le dossier sera transmis en urgence au Premier ministre afin d’honorer nos engagements », a-t-il affirmé.
Léon Juste Ibombo a rappelé qu’une visite conjointe avec la direction régionale de la BAD avait eu lieu trois mois plus tôt et que les partenaires internationaux s’étaient déclarés satisfaits de la qualité du chantier. Seul le volet financier reste à solder.
Interrogé sur un éventuel retrait du constructeur, le responsable a balayé le scénario. « Il n’est pas question de laisser naître un éléphant blanc. La République tiendra parole. » Il a ajouté que les crédits devraient être disponibles « dans les meilleurs délais ».
Conséquences pour la BAD et l’écosystème
Pour la Banque africaine de développement, la maîtrise des délais conditionne la cohérence de son portefeuille régional. Une source interne souligne que la suspension prolonge les frais de mission des ingénieurs et retarde la mise en réseau des administrations qui ont déjà migré leurs bases de données.
Les spécialistes du numérique notent que la data locale devient une ressource stratégique, comparable au pétrole des années 2000. Avec la fibre optique WACS qui longe déjà la côte, le datacenter complète la dorsale et pourrait attirer des opérateurs cloud désireux de se rapprocher du marché d’Afrique centrale.
Plusieurs start-up brazzavilloises, interrogées à l’espace Burospace, estiment que l’ouverture du site leur offrirait des espaces de colocation compétitifs et une conformité RGPD bienvenue pour séduire la clientèle européenne de la diaspora.
Impact économique et feuille de route digitale
Sur le plan macro-économique, le ministère du Plan table sur une réduction annuelle de quinze millions de francs CFA de frais d’hébergement hors du territoire, et sur la création directe de cinquante emplois qualifiés en maintenance réseau et cybersécurité.
L’infrastructure s’inscrit aussi dans la stratégie gouvernementale « Congo Digital 2025 », qui prévoit la dématérialisation intégrale des procédures administratives. Le datacenter hébergera notamment le portail e-visa, le guichet unique du commerce extérieur et le futur registre national de la population.
Transparence budgétaire et prochaines étapes
Plusieurs observateurs saluent la transparence du dialogue entre l’État et l’entreprise, un gage de confiance pour les investisseurs. « Les partenaires techniques sont entendus, les autorités réagissent rapidement », analyse Armand Makaya, économiste à l’Université Marien-Ngouabi.
La Direction générale du budget assure finaliser l’avenant financier. Dès sa validation, les fonds seront libérés, sous contrôle de la commission interministérielle.
D’ici la fin du mois, toutes les attentions resteront donc braquées sur la ligne budgétaire attendue au Trésor. Une adoption rapide permettrait d’éviter une suspension coûteuse et de faire, enfin, vibrer les processeurs du premier datacenter national.