Course mondiale pour les minerais critiques
Le basculement planétaire vers des économies décarbonées bouleverse la hiérarchie des matières premières. À mesure que l’éolien, le solaire et la mobilité électrique gagnent en ampleur, cuivre et cobalt se transforment en véritables « monnaies vertes ». Pékin dispose d’un avantage industriel solidement ancré, fruit de deux décennies d’achats, de prêts et de chantiers sur le continent africain. New Delhi, longtemps concentrée sur les hydrocarbures du Golfe, mesure maintenant l’ampleur de son retard et mobilise diplomates et géologues pour ne pas laisser à son rival régional le monopole des métaux critiques.
Le pari zambien de New Delhi
La dernière initiative en date illustre cette montée en puissance : Lusaka a attribué à l’Inde une zone d’exploration de 9 000 kilomètres carrés dans le nord-ouest zambien, cœur du Copperbelt. Une équipe mixte du Geological Survey of India et de la Mineral Exploration Corporation Limited est déjà à pied d’œuvre. Les carottes prélevées seront traitées dans des laboratoires de Pune et de Hyderabad, un choix qui témoigne de la volonté de rapatrier la valeur scientifique tout en limitant le coût logistique. Le mandat court sur trois ans au terme desquels New Delhi sollicitera un bail minier et ouvrira la porte à des partenaires privés.
La vulnérabilité stratégique de l’industrie indienne
Ce tournant est dicté par une contrainte purement domestique. Depuis la fermeture du complexe de Tuticorin en 2018, la capacité affineuse indienne a fondu, faisant bondir les importations de cuivre à 1,2 million de tonnes pour l’exercice 2024-2025, selon les données douanières. Dans le même temps, la demande de cobalt, poussée par l’ambition de produire 30 % de véhicules électriques d’ici 2030, a progressé de 20 %. Pour New Delhi, sécuriser des flux stables revient donc à réduire la facture d’un déficit qui grève déjà sa balance des paiements et à soutenir l’initiative « Atmanirbhar Bharat » d’autonomie stratégique.
Dialogue renforcé avec la RDC et enjeux katangais
L’Inde ne limite pas son offensive à la Zambie. Au mois de juin, une délégation conduite par le secrétaire adjoint au ministère des Mines a fait escale à Lubumbashi afin de participer à un forum centré sur la chaîne de valeur du cobalt. Des pourparlers sont en cours avec Kinshasa pour établir un mémorandum d’entente offrant aux sociétés indiennes un accès préférentiel aux gisements katangais. Un négociateur congolais confie que « la concurrence sino-indienne peut être un catalyseur, à condition qu’elle s’accompagne de transferts de compétences et de recettes fiscales accrues ». La présence déjà massive de groupes chinois, tels que CMOC et Zijin, impose toutefois à New Delhi une diplomatie de velours.
Vue de Pékin : vigilance sans panique
À Pékin, la manœuvre est observée sans alarmisme mais avec vigilance. Les investissements chinois représentent encore plus de 60 % de la production cuprifère zambienne et une part déterminante des exportations de cobalt congolais. Les analystes du Centre pour les études sur la Route de la soie estiment que « l’entrée de l’Inde ajoute de la profondeur au marché et renforce, in fine, la sécurité d’approvisionnement de tous ». Derrière le vernis académique, la Chine entend toutefois préserver son avance technologique sur le raffinage et le recyclage, étapes où se joue la captation de la valeur ajoutée.
Une fenêtre d’opportunité pour l’Afrique centrale
Pour les États d’Afrique centrale, cette rivalité ouvre un espace diplomatique inédit. Le gouvernement de la République du Congo, qui préside cette année la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, met en avant une approche de développement durable de la filière minière, privilégiant la transparence contractuelle et l’industrialisation locale. Brazzaville souligne que l’alignement sur la Vision minière africaine n’exclut aucun partenaire, mais conditionne l’accès aux ressources à des engagements concrets en matière de responsabilité sociale et environnementale.
Quel scénario pour la gouvernance minière de demain
Au-delà des annonces, la viabilité du pari indien dépendra de sa capacité à financer des infrastructures ferroviaires et énergétiques, à établir des coentreprises respectant les normes ESG et à soutenir la transformation locale des minerais. Si ces conditions sont réunies, la présence simultanée de l’Inde et de la Chine pourrait offrir aux pays hôtes un levier inédit pour diversifier leurs alliances et accroître la valeur captée sur place. L’Afrique, longtemps reléguée au rôle de pourvoyeur de matières premières, aspire désormais à être coproductrice de la transition énergétique mondiale.