Brazzaville face à la révolution crypto
Une centaine d’étudiants, de banquiers et de cadres publics se sont retrouvés le 28 octobre à Brazzaville pour interroger l’essor fulgurant des crypto-actifs, ces actifs numériques qui intriguent autant qu’ils fascinent le monde financier.
Organisée par BT Intégral Consulting et As Conseil Management, la conférence-débat avait pour fil rouge l’interrogation suivante : l’innovation portée par la blockchain constitue-t-elle une chance pour l’économie congolaise ou un mirage volatil ?
Face à un auditoire attentif, l’expert Gilles Morisson a rappelé que Bitcoin, fort d’une capitalisation proche de 2 000 milliards de dollars en février, domine toujours le marché, suivi par Ethereum et le XRP du groupe Ripple, respectivement estimés à 327 et 145 milliards.
Ces chiffres vertigineux, a-t-il expliqué, traduisent l’appétit croissant des investisseurs internationaux mais ne font pas encore office de gage de stabilité, car la valeur d’un jeton évolue au gré d’une simple loi d’offre et de demande, sans filets de garantie publique.
Crypto-actifs : définition et mécanismes
Selon Morisson, un crypto-actif représente avant tout une ligne de code inscrite dans une blockchain, registre décentralisé que nul ne peut altérer sans l’accord des nœuds du réseau, d’où une transparence jugée précieuse par les partisans de cette technologie.
Contrairement au franc CFA ou au dollar, poursuit-il, aucun État ni banque centrale n’est émetteur des jetons; l’utilisateur devient ainsi son propre dépositaire, une configuration qui redéfinit la notion même d’intermédiation et questionne le monopole bancaire traditionnel.
Le professeur Hervé Diata, modérateur de la rencontre, a souligné que la valeur d’un bitcoin peut progresser ou décroître de 20 % en quelques heures, phénomène baptisé volatilité, exigeant des régulations souples mais réactives pour protéger les épargnants sans brider l’innovation.
Quel potentiel pour l’économie congolaise ?
Plusieurs intervenants ont rappelé que plus de 350 millions d’Africains restent exclus des services bancaires classiques; pour eux, un portefeuille numérique adossé à une simple connexion mobile pourrait représenter une porte d’entrée directe dans le commerce électronique et l’épargne sécurisée.
Au Congo, l’adoption précoce du mobile-money offre déjà un terrain favorable, estime la responsable projets fintech d’une banque de la place; adosser ces usages à des crypto-actifs tokenisés en francs CFA, voire en biens réels, ouvrirait de nouveaux canaux de financement des PME.
« Nous n’envisageons pas la disparition de la monnaie fiduciaire, mais une coexistence ordonnée », a temporisé Diata, rappelant que le plastique n’a pas effacé l’argent liquide; l’enjeu consiste à bâtir des passerelles fiables entre les portefeuilles numériques et les réseaux bancaires.
Le débat a également abordé la question de la diaspora congolaise, souvent confrontée à des frais de transfert élevés; l’usage d’actifs numériques, compensés en temps réel, pourrait réduire ces coûts et injecter davantage de devises dans l’économie nationale.
Volatilité, cybersécurité et cadre légal
Les spécialistes ont néanmoins dressé la liste des risques: piratage de plateformes d’échange, blanchiment potentiel et absence de recours pour les utilisateurs oubliant leur clé privée; autant de défis qui imposent une collaboration étroite entre régulateurs, banques et opérateurs télécoms.
Morisson a rappelé que plusieurs États africains expérimentent des cadres pilotes; le Nigeria a lancé l’eNaira, monnaie numérique de banque centrale, tandis que le Ghana teste l’eCedi; ces initiatives publiques pourraient inspirer la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
Au niveau national, la Commission de surveillance du marché financier d’Afrique centrale prépare déjà un guide sur les émetteurs de jetons utilitaires, signe que les autorités prennent la mesure d’un phénomène susceptible, à court terme, d’attirer l’épargne domestique vers des projets locaux.
Vers une feuille de route concertée
Pour franchir un cap, les participants ont proposé la création d’un laboratoire congolais de la blockchain, réunissant développeurs, banques, universités et institutions, afin de tester des cas d’usage concrets dans l’agriculture, la certification de titres fonciers ou la billetterie culturelle.
Ils ont également suggéré d’inclure l’éducation financière au programme des universités et des lycées techniques; mieux informée, la jeunesse pourra distinguer une arnaque de pyramide de Ponzi d’un projet solide reposant sur un livre blanc et un code audité.
La conférence s’est achevée sur l’annonce d’un séminaire de deux jours consacré à l’évolution du cadre macro-monétaire; les organisateurs espèrent ainsi transformer l’intérêt académique suscité à Brazzaville en feuilles de route opérationnelles pour tirer parti, de façon responsable, de la révolution crypto.
