Une poussée de liquidités qui redessine la campagne 2025
Dans la vallée du fleuve Sénégal, couloir stratégique reliant Saint-Louis à Matam, les guichets de La Banque Agricole (LBA) ont consenti, au premier trimestre 2025, des enveloppes de 5,35 milliards de francs CFA, soit une progression de 8,1 % par rapport à l’an dernier. À l’heure où les grands bailleurs internationaux rappellent la vulnérabilité des marchés céréaliers sahéliens, cette injection de trésorerie signale une confiance retrouvée dans la filière rizicole locale, première bénéficiaire des fonds.
Le comité de crédit de la zone Nord, réuni à Dakar, a simultanément validé l’extension des surfaces exploitées à 11 309 hectares, légère hausse qui semble modeste mais qui, selon des experts agricoles interrogés, ouvre la voie à un meilleur étalement des emblavures et à une utilisation plus efficiente de l’eau en saison sèche chaude. Ainsi, la notion de simple relance conjoncturelle cède la place à une logique d’investissement dans la durabilité.
Riziculture nordique : quand le Sahel réapprend l’abondance
Au-delà de l’effet de trésorerie, le paramètre véritablement déterminant tient à la progression de 28,8 % des emblavures de riz, portant la barre des réalisations à 37 128 hectares. Ce bond, souvent invisible hors des cercles techniques, pèse lourd dans l’objectif gouvernemental de substitution aux importations, évalué à quatre cents milliards de francs CFA par an selon le ministère de l’Agriculture sénégalais. « Il ne s’agit plus seulement de résorber un déficit, mais de repositionner le Sénégal dans l’espace ouest-africain comme un fournisseur net de céréales », affirme un conseiller proche de la COMAFSN sous couvert d’anonymat.
Par-delà le discours, la réalité logistique impose toutefois un tempo prudent. Le développement des infrastructures de stockage, l’adaptation des variétés aux stress hydriques et la professionnalisation des coopératives demeurent des jalons incontournables. Le levier financier actionné par la LBA constitue dès lors une amorce plutôt qu’un aboutissement.
Contrastes saisonniers : la retenue de la saison froide
La grille de lecture se complexifie lorsque l’on observe la saison sèche froide : ici, les crédits se replient de 21 %, à 0,73 milliard de francs CFA, et les surfaces prévues reculent de 19 %. Les techniciens évoquent une prudence dictée par la sécurisation de l’approvisionnement en eau et par la saturation relative des marchés locaux hors période de fêtes religieuses. Pourtant, les réalisations progressent encore de 2,7 % pour atteindre 21 753 hectares, signe que les agriculteurs, soutenus par des schémas de rotation culturale plus audacieux, savent exploiter les marges d’amélioration disponibles.
Élevage : un pilier silencieux à la faveur des rites religieux
Tandis que la riziculture monopolise l’attention, le sous-secteur de l’élevage consolide ses positions, affichant une croissance trimestrielle corrigée des variations saisonnières de 2,6 %. L’effet Korité, conjugué à la lutte renforcée contre les abattages clandestins, propulse les productions bovine et ovine d’un peu plus de 5 %. Fait notable, la viande porcine bondit de 24,1 % alors que la caméline enregistre une expansion spectaculaire de près de 100 %. Ces chiffres, fournis par la Direction de la Prévision et des Études Économiques, illustrent le rôle désormais stratégique de l’élevage dans la diversification des revenus ruraux et la stabilité sociale.
Lecture macroéconomique et enjeux de souveraineté alimentaire
Pour les observateurs financiers, la montée en puissance des crédits agricoles traduit la capacité du système bancaire sénégalais à épauler un secteur resté longtemps périphérique dans l’allocation des prêts. Cette orientation vient en résonance avec les diagnostics de la Banque mondiale sur la nécessité d’accroître la part de l’agriculture dans le portefeuille de crédits afin de contenir la facture d’importation et de réduire l’exposition à la volatilité des cours internationaux.
À l’échelle régionale, la dynamique sénégalaise pourrait également rééquilibrer la balance vivrière de la zone UEMOA. Des diplomates basés à Abuja y voient l’opportunité d’atténuer les tensions récurrentes sur le riz en provenance d’Asie et, par ricochet, les risques d’instabilité politique qui en découlent. L’approche s’inscrit enfin dans l’agenda climatique, car l’irrigation contrôlée dans la vallée du fleuve demeure moins gourmande en ressources que certaines cultures de substitution pratiquées plus au sud.
Perspectives : vers une consolidation sous surveillance
Les perspectives pour le reste de l’année 2025 dépendront de trois variables : la gestion hydrique au cœur de la vallée, la discipline macroprudentielle des banques locales et la stabilité sécuritaire du Sahel occidental. Selon un cadre de la LBA, les prochaines réunions du comité de crédit devront intégrer de nouveaux instruments de couverture contre les chocs climatiques, condition indispensable pour maintenir la trajectoire haussière des financements sans alourdir exagérément le risque de portefeuille.
La montée graduelle des crédits, si elle s’accompagne d’investissements résolus dans l’aval logistique et de stratégies de marchés plus offensives, pourrait faire de la vallée du fleuve Sénégal une zone pilote de souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest. En attendant, le frémissement constaté au premier trimestre 2025 rappelle que, dans le Sahel, la statistique est d’abord une question de résilience et de confiance partagée.