Vague de rumeurs sur les réseaux sociaux
Depuis la fin mai, une série de publications virales circulant sur Facebook et X annonce, avec un ton alarmiste, le retour imminent d’un confinement national en Ouganda. Les posts, souvent assortis de vidéos d’archives de conférences de presse datées, prétendent qu’une poussée soudaine de contaminations aurait forcé Kampala à réactiver les restrictions les plus dures. Dans un pays qui a connu l’un des couvre-feux nocturnes les plus longs du continent, la ficelle émotionnelle est efficace : mémoires du traumatisme économique, fermeture des écoles pendant presque deux ans et crispations sécuritaires alimentent la résonance du récit.
État sanitaire réel et données officielles
La réalité épidémiologique, pourtant, demeure banale. Le 11 juin, le ministère ougandais de la Santé a publié un communiqué rappelant « qu’aucun signal épidémiologique ne laisse présager de recrudescence » et que les images en circulation étaient « anciennes et sorties de leur contexte ». Selon le tableau de bord national, le taux de positivité reste inférieur à 1 %, un niveau jugé compatible avec une circulation sporadique du virus. Interrogé par téléphone, le Dr Henry Mwebesa, directeur général des services de santé, ajoute que « les équipes de surveillance communautaire n’ont enregistré aucune chaîne de transmission soutenue depuis le premier trimestre ». Aucune remontée hospitalière atypique n’est signalée dans les centres régionaux, et la demande en oxygène demeure à des seuils pré-pandémiques.
Coordination OMS et diplomatie de la surveillance
À Genève, l’Organisation mondiale de la Santé rappelle que l’Afrique de l’Est ne figure pas parmi les zones d’augmentation marquée des cas recensées en Asie et au Moyen-Orient. « Nous observons un plateau, pas une flambée », précise un responsable du Bureau régional Afrique. Le nouveau variant sous surveillance, majoritaire au Royaume-Uni, n’a pour l’heure été détecté qu’à l’état sporadique sur le continent. Dans le dispositif multilatéral post-urgence, l’Ouganda transmet toujours ses séquençages via la plateforme africaine Pathogen Genomics Initiative, gage de transparence apprécié par les partenaires européens et américains. Pour les diplomates accrédités à Kampala, cette collaboration continue fait figure de test : elle démontre que le maillage de surveillance mis en place durant la pandémie n’a pas été démantelé.
Capacités nationales de réponse ougandaises
Loin d’être pris au dépourvu, le gouvernement maintient un stock stratégique de vaccins à ARN messager et de traitements antiviraux acheminés grâce au mécanisme Covax. Les 5 000 agents du réseau VHT, véritables vigies sanitaires dans les villages, relèvent chaque semaine les syndromes pseudo-grippaux. Le laboratoire de référence à l’Institut ougandais de recherche virale à Entebbe séquence encore 10 % des tests positifs, au-delà du seuil recommandé par l’OMS. Ces signaux plaident pour une veille responsable plutôt que pour des mesures coercitives. « Nos citoyens ont payé un lourd tribut socio-économique ; nous n’userons du confinement qu’en tout dernier recours », assure la ministre de la Santé, Jane Ruth Aceng.
Désinformation : ressorts politiques et économiques
Pourquoi, alors, ressusciter le spectre du lockdown ? Plusieurs analystes pointent des motivations politiques locales : à un an des législatives, certains groupes d’opposition tentent de fragiliser la légitimité du pouvoir en jouant sur la peur. D’autres relaient les rumeurs pour drainer du trafic vers des sites monétisés, dans une économie numérique où le clic rapporte plus que les faits. Dans un contexte mondial saturé d’infox sanitaires, l’Ouganda n’échappe pas à la tentation de manipulations hybrides mêlant intérêts partisans et gains financiers. La multiplication des deepfakes et l’usage de comptes automatisés compliquent la tâche des vérificateurs, tandis que la population, fatiguée de la surinformation pandémique, éprouve des difficultés à distinguer archive et actualité.
Perspectives pour la gouvernance sanitaire régionale
L’épisode souligne un besoin criant : consolider la diplomatie de la santé publique en Afrique de l’Est. Si l’Ouganda a pu démentir rapidement, c’est grâce à un appareil de communication plus réactif qu’en 2020 et à l’arrimage des données nationales aux plateformes internationales. Pour les chancelleries, la leçon est double. D’une part, l’anticipation des narratifs de crise doit être intégrée dans les plans de préparation. D’autre part, le dialogue permanent entre ministères de la Santé, organes de sécurité et acteurs du numérique s’impose pour neutraliser la propagation virale des rumeurs. À défaut, le coût social d’une fausse alerte pourrait bientôt rivaliser avec celui d’une véritable épidémie.