Une investiture sans surprise mais hautement symbolique
À Abidjan, le congrès extraordinaire du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix a résonné d’ovations lorsque les délégués ont « sollicité » le président sortant, âgé de 83 ans, pour porter à nouveau leurs couleurs lors du scrutin d’octobre 2025. La scène, soigneusement chorégraphiée, scellait l’image d’un parti rassemblé autour d’un chef présenté comme l’ultime garant de la stabilité macroéconomique et sécuritaire du pays. Pourtant, loin de l’enthousiasme militant, cette investiture interroge jusqu’aux chancelleries, conscientes que le précédent de 2020 demeure vif dans la mémoire collective.
Le suspense savamment entretenu par le chef de l’État
En répondant qu’il prendra « dans les jours qui viennent » sa décision « en âme et conscience », Alassane Ouattara a renoué avec une dramaturgie politique désormais familière à Abidjan. Selon l’historien et analyste Arthur Banga, il s’agit d’« attendre une séquence plus solennelle, probablement un message à la Nation ou une adresse devant le Parlement, afin de revêtir l’acte d’un vernis d’unité nationale ». Outre le jeu d’anticipation, cette attente laisse au pouvoir le temps de tester la température tant à l’international – auprès de partenaires soucieux de voir la Côte d’Ivoire demeurer pôle de stabilité – qu’à l’intérieur, où la société civile bruisse déjà de débats autour du quatrième mandat.
Les subtilités constitutionnelles, pivot d’un possible quatrième bail
La réforme constitutionnelle de 2016, validée par référendum, avait été invoquée en 2020 pour remettre à zéro le compteur des mandats, ouvrant la voie à un troisième quinquennat. Pour les juristes proches du RHDP, la même logique autoriserait aujourd’hui un quatrième mandat, au motif que la Constitution fixe une limite de deux mandats dans le nouveau régime juridique et que ceux effectués avant 2016 appartiendraient à une « république précédente ». Cette interprétation maximaliste, admise par le Conseil constitutionnel en 2020, reste toutefois contestée par l’opposition, laquelle dénonce un « détournement d’esprit des textes » et alerte sur un risque de fatigue démocratique.
Opposition recomposée et verrouillages judiciaires
En coulisses, la classe politique se réorganise. Le rapprochement conclu entre le Parti des Peuples Africains–Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire conduit par Tidjane Thiam inquiète le parti présidentiel, malgré la mise sur la touche de leurs leaders respectifs. L’ancien président reste inéligible pour la célèbre affaire de la BCEAO, tandis que Charles Blé Goudé demeure frappé par une condamnation liée à la crise post-électorale de 2010-2011. Le camp présidentiel rejette toute accusation de « double standard » et argue du caractère judiciaire, non politique, de ces exclusions. Me Ouraga Serge Olivier, voix dissonante, rétorque que « la balance institutionnelle ne penche jamais du côté de l’opposition ».
Le RHDP à la recherche de son plan B
Si Alassane Ouattara décidait finalement de se retirer, trois noms reviennent avec insistance : le vice-président Tiémoko Meyliet Koné, le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo et l’ancien Premier ministre Patrick Achi. Tous cultivent l’image de serviteurs loyaux, garants de la continuité de la ligne libérale et sécuritaire. Pourtant, aucun ne dispose pour l’heure de la stature charismatique de l’actuel chef de l’État, régulièrement célébré par les bailleurs pour sa gestion macroéconomique. D’où l’intérêt d’entretenir une certaine ambiguïté : elle soude les rangs, divise l’adversaire et place l’agenda médiatique sous contrôle présidentiel.
Un timing dicté par les impératifs régionaux
La Côte d’Ivoire se trouve dans un environnement ouest-africain secoué par la succession de coups d’État et par la montée d’un sentiment souverainiste. Dans ce contexte, le maintien au pouvoir d’une figure expérimentée rassure certains partenaires, en particulier l’Union européenne et les institutions financières internationales. Mais il nourrit aussi la critique d’un « pouvoir de longévité » que des mouvements panafricanistes assimilent à un conservatisme néocolonial. Le chef de l’État entend ainsi, selon un diplomate accrédité à Abidjan, « afficher qu’il reste l’homme de la stabilité tout en montrant qu’il n’est pas prisonnier de sa fonction ».
Vers une clarification attendue au premier semestre 2024
Au fil des entretiens officieux, les proches du président laissent entendre qu’une déclaration officielle pourrait intervenir avant la mi-2024, afin de respecter les délais légaux de convocation du corps électoral. Ce calendrier offrirait à l’exécutif le temps de consolider les grands chantiers – infrastructures, couverture maladie universelle, opérations antiterroristes au nord – qui constituent les piliers d’un bilan de campagne. Reste à savoir si cette fenêtre servira à confirmer un quatrième mandat ou à préparer une transition interne soigneusement balisée.
Le pari du clair-obscur
En définitive, l’ambiguïté de la réponse d’Alassane Ouattara apparaît moins comme une hésitation que comme une stratégie d’occupation du terrain médiatique. Elle met à l’épreuve l’unité de l’opposition, teste la robustesse des arguments constitutionnels et maintient l’attention internationale. Qu’il se représente ou non, le président a déjà réussi à se poser en arbitre du tempo politique national, démontrant une fois de plus qu’en Côte d’Ivoire, la maîtrise du calendrier vaut parfois autant que les suffrages.