Une mise en garde nuancée venue de Washington
Publié discrètement à l’issue de la septième revue du programme économique et financier conclu avec Yaoundé, le rapport de juin 2025 du Fonds monétaire international a cependant résonné comme un coup de semonce dans les cercles diplomatiques. Sans remettre en cause la pertinence de la politique énergétique camerounaise, l’institution identifie « des fragilités potentielles dans la structure tarifaire et dans le partage des risques » du contrat d’achat d’électricité signé entre la compagnie nationale Eneo et Nachtigal Hydro Power Company, entité contrôlée par Électricité de France. En substance, le FMI craint qu’un engagement public à long terme libellé en devises n’expose les finances de l’État à des tensions change si les projections de croissance ou de recettes d’exportations venaient à se retourner. Une note interne évoque même le précédent de certaines ententes de rachat d’énergie trop optimistes conclues sur le continent durant la dernière décennie.
Nachtigal, pivot d’une stratégie électrique ambitieuse
Mis en chantier en 2019 sur le Sanaga, le barrage de Nachtigal doit injecter 420 MW, soit près d’un tiers de la capacité installée actuelle du pays. Pour Yaoundé, le projet constitue une clef de voute de l’émergence industrielle et de la réduction du déficit énergétique. Les autorités rappellent que l’appel d’offres international a abouti « à des conditions compétitives, adossées à l’expertise éprouvée d’EDF ». Les partenaires au développement, Banque mondiale et Banque africaine de développement en tête, ont validé les études d’impact et cofinancé l’ouvrage. Autrement dit, l’architecture du projet est multilatérale et théoriquement robuste. Toutefois, l’accord de rachat à 42 FCFA le kilowattheure indexé sur le dollar suscite la prudence des économistes du FMI, alors que le franc CFA reste ancré à l’euro.
Pression sur la dette et arbitrages budgétaires délicats
Le rapport pointe que la facture cumulée pour l’État pourrait dépasser, en valeur actualisée, 2,5 % du PIB si la demande croît moins vite qu’escompté ou si le taux de change se déprécie. Pour l’instant, le Cameroun affiche un ratio dette/PIB de 48 %, encore en deçà des 70 % autorisés dans la CEMAC. Mais dans un contexte où les marges budgétaires restent étroites, chaque obligation de paiement indexée sur des devises fortes rabote la flexibilité fiscale. Le gouvernement assure que le risque est « encadré par des clauses de révision quinquennale » et par une stratégie de refinancement graduel. Les bailleurs bilatéraux, quant à eux, soulignent que l’expansion d’une base industrielle consommatrice d’énergie finira par amortir ces obligations.
Gouvernance contractuelle et transparence : le nouveau mot d’ordre
Au-delà des montants, le FMI insiste sur la nécessité d’une transparence accrue dans les contrats de partenariat public-privé. Une recommandation alignée sur la directive régionale adoptée à Brazzaville en 2024, laquelle promeut la publication intégrale des conventions énergétiques afin de renforcer la confiance des investisseurs. Yaoundé s’est engagé à déposer à l’Assemblée une annexe budgétaire détaillant les éventualités financières liées à Nachtigal. Dans les chancelleries occidentales, l’initiative est saluée comme une avancée vers la normalisation des pratiques, tandis que certains acteurs de la société civile espèrent y trouver un précédent pour d’autres infrastructures stratégiques.
Enjeux diplomatiques d’un hub énergétique régional
L’ambition camerounaise dépasse les frontières nationales. Avec Nachtigal, le pays souhaite se positionner en plaque tournante du futur Pool énergétique d’Afrique centrale, suscitant l’intérêt de partenaires comme le Congo-Brazzaville ou la Guinée équatoriale, désireux de sécuriser des kilowattheures stables à moyen terme. Cette perspective régionale confère au contrat une dimension géopolitique : un éventuel rééquilibrage financier décidé par Yaoundé pourrait influencer la grille tarifaire appliquée aux voisins. De quoi expliquer la prudence mesurée du FMI, soucieux d’éviter tout effet domino sur l’intégration électrique sous-régionale en gestation.
Vers un réajustement concerté plutôt qu’un bras de fer
Dans l’immédiat, les recommandations du FMI n’équivalent pas à une injonction. Le gouvernement camerounais et la direction d’EDF ont entamé des discussions techniques visant à clarifier la méthode d’indexation et l’éventuelle inclusion d’une clause de partage des gains liés à la surexécution de la production. « Nous sommes confiants dans l’issue de ce dialogue », confie un diplomate européen en poste à Yaoundé, rappelant que le dossier Nachtigal reste un test crédible de la capacité du pays à concilier croissance, discipline macroéconomique et attractivité pour les investisseurs étrangers. En coulisses, la Banque mondiale plaide pour une solution qui préserve la prévisibilité des flux de trésorerie d’EDF tout en lissant la charge budgétaire publique. Un consensus se dessine pour une revue conjointe à mi-parcours en 2028, signe qu’à défaut d’être renégocié, le contrat sera surveillé comme le lait sur le feu.