Brazzaville et Moscou, histoire d’un rapprochement énergétique
Au-delà de la rhétorique amicale des sommets, la coopération énergique entre la République du Congo et la Fédération de Russie s’est affirmée depuis une décennie comme une véritable architecture stratégique. Le président Denis Sassou-Nguesso, soucieux de diversifier ses partenaires pour ne pas dépendre exclusivement des majors occidentales, a trouvé en Moscou un interlocuteur désireux de regagner des parts de marché africaines après les sanctions occidentales de 2014 puis de 2022. L’accord-cadre signé à Sotchi en 2019, renforcé en marge du second Sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg en juillet 2023, prévoit une coopération « globale » couvrant exploration, production, raffinage et transport d’hydrocarbures.
Hydrocarbures congolais : un appétit russe qui s’affirme
Premier producteur pétrolier d’Afrique centrale, le Congo dispose de réserves estimées à plus de 2,9 milliards de barils. Rosneft et Lukoil, deux géants russes, se sont positionnés sur plusieurs blocs offshore, notamment Marine XXII et Marine XXIV. Selon le ministère congolais des Hydrocarbures, des investissements cumulés de 600 millions de dollars sont déjà engagés depuis 2021 pour des études sismiques et un forage exploratoire. Cette percée russe intervient alors que TotalEnergies ralentit certains projets, justifiant ses arbitrages par des « réallocations de capital ».
Le pari gazier et nucléaire : horizons stratégiques partagés
Au-delà du pétrole, le gaz constitue un pivot de cette coopération. Gazprom étudie la conversion de gisements marginaux du champ de Banga Kayo en unités de liquéfaction modulaire, destinées à approvisionner le marché régional. Brazzaville y voit l’opportunité de réduire la flambée des importations de produits raffinés tout en monétisant un gaz jusqu’ici torché. Pour Moscou, ce projet offre un débouché hors Europe à sa technologie ‘Arctic Cascade’, pénalisée par les sanctions.
Plus audacieux encore, le mémorandum d’entente signé entre Rosatom et le ministère congolais de la Recherche scientifique prévoit la construction, à moyen terme, d’un petit réacteur modulaire de type RITM-200 pour la production d’électricité et de radio-isotopes médicaux. L’annonce a suscité scepticisme et inquiétudes au sein des ONG environnementales, qui rappellent que la capacité du réseau national à absorber une telle tranche reste incertaine.
Conséquences géopolitiques pour l’Afrique centrale
Le raffermissement de l’axe Congo-Russie pèse déjà sur les équilibres régionaux. Libreville, récemment passée sous régime militaire, a multiplié les signaux en direction de Moscou et de Pékin, tandis que Yaoundé observe avec circonspection un voisin disposant bientôt d’un puissant allié extra-continental. L’Union européenne, de son côté, s’inquiète d’un recul de son influence énergétique, Bruxelles ayant soutenu en 2022 l’initiative conjointe ‘Gas for Africa’ qui reposait sur un partenariat plus étroit avec les compagnies européennes.
Interrogé par la presse internationale, un diplomate de la CEEAC confie sous couvert d’anonymat : « La Russie cible des pays disposant de ressources énergétiques stratégiques et d’une élite politique en quête de nouvelles garanties sécuritaires ». Cette grille de lecture corrobore l’éventualité d’un troc implicite : soutien politique russe aux forums internationaux contre accès privilégié aux ressources.
Quels risques pour la souveraineté énergétique congolaise ?
Si la diversification des partenaires est souvent présentée comme un gage d’indépendance, plusieurs économistes congolais alertent sur une possible dépendance technologique et financière. Les contrats de partage de production signés avec Rosneft incluent, selon des sources proches du dossier, des clauses de stabilisation juridique exigeant de Brazzaville qu’elle compense toute modification fiscale jugée défavorable. Un juriste du cabinet Mapopa Law, basé à Pointe-Noire, souligne que « ces garanties peuvent à long terme limiter la marge de manœuvre budgétaire de l’État ».
Par ailleurs, la tentation d’hypothéquer des cargaisons futures, pratique déjà observée au Cameroun, pourrait alourdir la dette souveraine congolaise. Le risque n’est pas négligeable dans un contexte où la note de crédit du pays reste classée B- par Fitch Ratings.
Perspectives : un partenariat à haute tension diplomatique
Le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, estime que « la Russie respecte notre souveraineté et nous apporte un transfert de compétences ». Du côté russe, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov évoque un « partenariat gagnant-gagnant basé sur des intérêts complémentaires ». Ces déclarations ne dissipent toutefois pas complètement les interrogations d’une partie de la société civile congolaise, qui réclame plus de transparence sur la ventilation des recettes pétrolières.
À court terme, l’axe Congo-Russie devrait se consolider par la signature, annoncée pour 2024, d’un accord de coopération militaire lié à la protection des infrastructures énergétiques. À moyen terme, l’entrée en production commerciale des blocs offshore opérés par Rosneft pourrait redessiner la cartographie des flux pétroliers africains. Reste à savoir si Brazzaville saura transformer cette ressource en un développement socio-économique inclusif ou si le pays se contentera d’une rente, fût-elle libellée en roubles ou en dollars.