Un dialogue stratégique au sommet
Sous la moite chaleur d’août, la salle de réunion du ministère du Développement industriel a résonné d’un optimisme mesuré. Antoine Thomas Nicéphore Fylla Saint Eudes, tenant d’une industrialisation « made in Congo », a longuement échangé avec Abdourahamane Diallo, coordonnateur résident du Système des Nations unies. À l’issue de l’audience, les deux hommes ont martelé un message clair : l’heure est venue de transformer les engagements en usines, les diagnostics en chaînes de valeur nationales. « Nous disposons désormais d’un cadre conceptuel robuste », a insisté le diplomate onusien, rappelant que le Programme des Nations unies pour le développement, la Commission économique pour l’Afrique et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel se trouvent déjà en première ligne.
La feuille de route : un instrument de cohérence
Adossée au deuxième pilier du Plan national de développement 2022-2026, la feuille de route de l’industrialisation veut éviter les écueils des précédentes stratégies, trop souvent restées cantonnées aux tiroirs ministériels. Elle établit des priorités sectorielles – agro-industrie, bois, chimie légère – et fixe des jalons calendaires alignés sur les Objectifs de développement durable. L’enjeu est d’harmoniser l’action publique, de sécuriser l’énergie et l’eau indispensables aux investisseurs, mais aussi d’offrir au secteur privé une visibilité sur la fiscalité et la logistique. « Sans cohérence, la diversification demeurera un vœu pieux », confie un haut fonctionnaire du ministère, préférant garder l’anonymat.
Consultations multisectorielles : la méthode participative
Pour franchir l’étape de la planification à celle de la mise en œuvre, Brazzaville prépare des assises rassemblant les ministères de l’Énergie, de l’Eau, des Hydrocarbures, des Transports ainsi que les partenaires techniques. Elles devront valider la cartographie du potentiel industriel et dégager des projets pilotes bancables. Au-delà du symbole, cette concertation vise à faire converger des administrations dont les mandats se chevauchent souvent. « L’industrialisation ne peut pas être l’apanage d’un seul département », souligne Adama-Dian Barry, représentante résidente du PNUD, appelant à « une approche holistique, du champ au port ».
Le secteur privé entre attentes et obligations
Les entrepreneurs congolais observent cette effervescence avec intérêt, mais aussi prudence. Plusieurs d’entre eux revendiquent une amélioration de l’accès au crédit, jugé onéreux, et la stabilisation des réseaux électriques pour réduire les coûts de production. La Chambre de commerce met en avant le besoin d’une sécurité juridique accrue pour attirer les capitaux internationaux, tandis que les petites et moyennes entreprises redoutent d’être reléguées au second plan face à de grandes firmes étrangères mieux capitalisées. Le ministère assure vouloir « donner la priorité aux opérateurs locaux » grâce à des mécanismes d’incitation fiscale et à la commande publique.
Défis structurels persistants
La volonté politique affichée doit composer avec des réalités tenaces : dépendance persistante aux hydrocarbures, enclavement de certaines zones à fort potentiel agricole, et vulnérabilité aux chocs exogènes, climatiques comme financiers. Les partenaires onusiens plaident pour une hausse de la part du budget national consacrée aux infrastructures productives et pour le renforcement de la formation technique. Selon des données compilées par la CEA, l’industrie manufacturière ne représente encore qu’environ 7 % du PIB, loin de l’objectif gouvernemental de 20 % à l’horizon 2030.
Vers une cartographie fine des chaînes de valeur
L’élaboration d’une cartographie industrielle détaillée constitue le prochain jalon. Cet outil recensera matières premières, corridors logistiques, besoins énergétiques et débouchés régionaux, permettant d’orienter les investisseurs vers des zones viables. Il pourrait aussi favoriser l’émergence de clusters, notamment dans la transformation du bois et l’agro-alimentaire, Domaine où le Congo dispose d’un avantage comparatif. L’ONU envisage d’appuyer un observatoire des données industrielles, promesse d’une gouvernance fondée sur l’évidence statistique plutôt que sur l’intuition politique.
Une dynamique à consolider sur le temps long
À l’issue de la rencontre, la délégation onusienne a réaffirmé son engagement, saluant une « stratégie réaliste » du gouvernement dans un contexte de révision du Plan national de développement. De fait, la phase actuelle se distingue par une volonté d’aligner agendas national et multilatéral, condition sine qua non pour mobiliser les financements concessionnels. Reste à maintenir le cap au-delà des effets d’annonce : multiplier les unités de production, former la main-d’œuvre et insérer les PME dans les chaînes d’approvisionnement régionales. Si ces chantiers aboutissent, l’industrialisation congo-brazzavilloise pourrait sortir du registre de la promesse pour entrer dans celui du patrimoine commun.