Brazzaville fait ses comptes
Sous les lambris feutrés d’un hôtel de la capitale, hauts fonctionnaires congolais et experts de la Banque mondiale ont confronté leurs diagnostics sur l’état des finances locales. Cette rencontre, loin d’être une première, s’inscrit dans la trajectoire entamée en mars dernier pour doter les collectivités d’outils de gestion plus performants. Le constat liminaire demeure inchangé : malgré vingt ans de décentralisation inscrite dans le droit, Brazzaville et Pointe-Noire restent fortement tributaires des transferts de l’État central, dont la volatilité compromet la prévisibilité budgétaire.
Entre transferts et autonomie : l’équation budgétaire
Les études commanditées par la Banque mondiale rappellent que plus de soixante pour cent des recettes des communes proviennent encore de subventions forfaitaires. Le reste, constitué de taxes sur l’occupation du domaine public, d’impôts fonciers et de redevances variées, pâtit d’assiettes étroites et d’un recouvrement erratique. « Les fortes subventions de l’État ne devraient pas être les leviers essentiels », a martelé Séraphin Ondélé, directeur de cabinet du ministère de l’Intérieur, soulignant une vision désormais partagée : l’autonomie financière n’est plus une simple incantation, mais la condition sine qua non d’une gouvernance locale crédible.
La Banque mondiale en arbitre discret
Dans le rôle, délicat, d’accompagnateur technique et de facilitateur politique, l’institution de Bretton Woods avance ses préconisations avec mesure. Ousmane Bachir Deme, spécialiste principal de gouvernance, insiste sur la nécessité d’un « cercle vertueux » liant performance de la collecte, qualité du service rendu et confiance citoyenne. L’expérience d’autres capitales africaines est fréquemment citée en filigrane, sans jamais glisser dans le comparatisme simpliste : la Banque mondiale sait la sensibilité de ce dossier, où les enjeux de souveraineté fiscale se heurtent parfois à la perception d’une ingérence extérieure.
Le pari d’un civisme fiscal renouvelé
Au-delà des chiffres, l’atelier a mis en lumière une question de psychologie collective : comment susciter l’adhésion d’un contribuable dont la rue n’est pas asphaltée ou dont l’école manque de manuels ? La réponse esquissée fait écho aux travaux de sociologie fiscale : visibilité des projets, reddition de comptes et participation citoyenne constituent le triptyque supposé ramener la confiance. Plusieurs maires présents ont d’ailleurs plaidé pour des budgets participatifs à l’échelle des quartiers, convaincus que la proximité renforce la légitimité de l’impôt.
Capacités locales : un déficit structurel
La technique ne suffit pas si les ressources humaines font défaut. Dans nombre de communes, les régies financières peinent à concilier exigences comptables modernes et réalités logistiques : absence de numérisation, rareté des profils formés, rotation rapide des cadres. Le projet de plan de réformes en gestation prévoit une phase de renforcement des capacités, incluant formation continue, mise en réseau des régisseurs et déploiement progressif de solutions numériques. L’un des participants a résumé l’enjeu en ces termes : « Sans cadres compétents, la réforme restera un slogan ».
Quel agenda pour les réformes ?
À la clôture des travaux, un consensus prudent s’est dessiné sur la feuille de route. Première étape : fiabiliser les bases de données foncières, condition incontournable de l’élargissement de l’impôt immobilier. Deuxième jalon : clarifier la répartition des compétences entre niveau central et collectivités, afin d’éviter les doublons qui diluent la responsabilité politique. Troisième volet : instaurer des contrats-objectifs liant transferts financiers et indicateurs de performance. Le gouvernement, soucieux de préserver l’équilibre macro-budgétaire, voit dans cette contractualisation un moyen d’orienter l’appui budgétaire des bailleurs vers des résultats tangibles.
Perspectives diplomatiques et régionales
La démarche congolaise est scrutée par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, où plusieurs capitales envisagent des réformes similaires. En filigrane, l’enjeu dépasse la technicité fiscale : il s’agit de consolider l’État de droit local et de réduire la tentation centralisatrice, souvent accusée de nourrir les tensions périphériques. Un diplomate européen confiait en marge de l’atelier que « la crédibilité des collectivités africaines sera un test pour la stabilité politique de la décennie ». Dans cette perspective, l’appui multilatéral s’apparente moins à une conditionnalité qu’à un partage de risques.
Dernier mot sur la faisabilité
Les réformes annoncées ne manquent ni d’ambition ni de complexité. Leur réussite dépendra de l’appropriation politique, de la coordination interministérielle et de la constance des partenaires financiers. Les participants en conviennent : si la décentralisation veut demeurer une promesse et non une chimère, elle devra rapidement démontrer sa capacité à financer l’éclairage public, à entretenir les voiries et à payer les salaires des agents municipaux. C’est là, dans le quotidien des habitants, que se jouera la crédibilité du nouveau pacte fiscal entre l’État, les collectivités et les citoyens.