Un tête-à-tête économique hérité d’une longue fréquentation énergétique
En dépit de son intitulé résolument prospectif, le Business Forum Congo-Italie 2025 ne s’inscrit pas dans le vide stratégique. Depuis la signature des premiers accords pétroliers avec ENI en 1968, Rome n’a jamais coupé le fil avec Brazzaville. Or, depuis la crise énergétique consécutive à la guerre russo-ukrainienne, l’Italie se tourne de nouveau vers l’Afrique centrale pour diversifier ses approvisionnements et verdir son portefeuille. Dans cette perspective, la capitale congolaise offrait les 26 et 27 mai un théâtre familier pour réaffirmer une « coopération gagnant-gagnant », leitmotiv repris par le ministre congolais du Développement industriel, Ludovic Ngatsé, et par la vice-ministre italienne du Commerce extérieur, Maria Tripodi.
Des attentes congolaises centrées sur l’agro-industrie et le numérique
Alors que le PIB hors hydrocarbures stagne autour de 3 % de croissance annuelle, le gouvernement congolais cherche à faire de l’agro-industrie le deuxième poumon de l’économie. Les jeunes entrepreneurs rassemblés à Brazzaville – plus de 200 porteurs de projets selon l’Agence pour la promotion des investissements (API) – ont plaidé pour l’importation de technologies de transformation post-récolte et de solutions d’irrigation intelligentes. « L’Italie a bâti des PME familiales robustes, capables d’exporter des pâtes aussi bien que des machines-outils ; cette expertise est transposable au manioc congolais », a argumenté Jean-Patrick Mboumba, fondateur de la start-up AgriSmart (entretien, 27 mai).
Le savoir-faire italien entre Mattei Plan et Global Gateway
Rome entend capitaliser sur l’élan du Mattei Plan, initiative dévoilée par la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, pour repositionner l’Italie comme pont énergétique et technologique entre l’Afrique et l’Europe. Dans le dossier congolais, cela se traduit par un bouquet d’investissements dans le solaire hors-réseau, l’hydrogène vert et la digitalisation des administrations douanières. Le directeur Afrique de l’ICE-Agenzia, Alessandro Gerardi, a souligné « la complémentarité quasi naturelle entre les compétences italiennes en mécatronique et les besoins africains en maintenance légère » (conférence plénière, 26 mai).
La formalisation, pivot négligé d’une coopération inclusive
Si les discours ont abondé sur la haute technologie, les ateliers consacrés à la formalisation ont révélé une réalité moins glamour : près de 80 % des unités productives congolaises opèrent encore dans l’informel, privant les bailleurs de garanties bancaires et les autorités fiscales de recettes. La directrice de la Caisse congolaise de garantie des PME, Mireille Okemba, a rappelé que « sans immatriculation au registre du commerce, aucune ligne de crédit italienne ne peut être mobilisée » (atelier, 27 mai). La plate-forme one-stop shop annoncée en 2023 tarde à couvrir l’ensemble du territoire, freinant l’accès aux marchés publics évoqués au forum.
Risques politiques, gouvernance et crédibilité contractuelle
Au-delà des considérations techniques, diplomates et entreprises s’interrogent sur la résilience du cadre réglementaire congolais. Les révisions successives du code des investissements et la lenteur des arbitrages fiscaux ont entamé la confiance de milieux d’affaires italiens déjà échaudés par l’expérience angolaise dans les années 2010. De son côté, Brazzaville redoute que la nouvelle politique industrielle italienne privilégie une logique d’extraction au détriment du contenu local. « Il ne s’agit plus d’exporter des barils, mais de produire ici des plaques solaires et des logiciels », a insisté le conseiller économique de la présidence, André Okombi.
Un agenda de suivi pour éviter l’effet catalogue
Les communiqués finaux promettent la création d’un comité mixte chargé d’évaluer, tous les six mois, l’avancée des projets. Encore faudra-t-il lui donner des moyens coercitifs, sous peine de voir la feuille de route se diluer comme tant d’autres. L’enjeu est d’autant plus aigu que la Banque africaine de développement négocie un prêt-programme de 150 millions de dollars pour la zone agro-industrielle de Oyo-Olombo, dont plusieurs entreprises italiennes espèrent devenir fournisseurs. À Brazzaville, certains diplomates évoquent un test grandeur nature pour la crédibilité du partenariat.
Vers un nouvel équilibre de l’interdépendance
En définitive, le forum a rappelé qu’aucun slogan, fût-il martelé, ne remplace la patience institutionnelle. Les synergies invoquées à Brazzaville ne se matérialiseront que si l’Italie accepte de transférer davantage que du capital et si le Congo sécurise un environnement juridique prévisible. À ce prix seulement, l’axe Congo-Italie pourra convertir la courtoisie diplomatique en valeur ajoutée partagée.