Brazzaville se tourne vers une e-administration souveraine
À l’heure où les États rivalisent d’ingéniosité pour inscrire leurs citoyens dans la sphère digitale, le Congo fait valoir une ambition explicite : ériger une identité numérique sécurisée qui protège la vie privée tout en consolidant la souveraineté nationale. Dans l’enceinte feutrée d’un hôtel de Brazzaville, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Léon Juste Ibombo, a rappelé l’urgence de doter chaque Congolais d’un identifiant électronique fiable, jugé indispensable pour que le pays participe pleinement aux échanges internationaux et à l’économie de la donnée. L’atelier organisé autour du thème « Vers une identité numérique inclusive et sécurisée » marque un jalon décisif de la feuille de route Congo Digital 2025.
Cadre juridique et architecture technique en gestation
Le gouvernement mise sur un tandem législatif et technologique. D’un côté, une évolution du corpus réglementaire doit encadrer la collecte, le stockage et le partage des données personnelles, conformément aux meilleures pratiques internationales et aux recommandations de la Banque mondiale, partenaire clé du Projet d’accélération de la transformation numérique (PATN). De l’autre, une plateforme d’interopérabilité – incluant un Digital Wallet – sera déployée pour permettre l’authentification forte et la signature électronique. Le pari consiste à associer la biométrie et la cryptographie de manière à réduire les risques d’usurpation tout en garantissant l’accès simplifié aux services publics.
Jeunes talents et gouvernance inclusive au cœur du dispositif
Conscient que la réussite d’une telle réforme dépend des compétences locales, le ministère mise résolument sur la jeunesse. Des programmes de certification, en partenariat avec les universités et les grandes écoles, doivent renforcer le vivier d’ingénieurs en cybersécurité, data science et administration de systèmes. M. Ibombo insiste sur la nécessité de transformer la diaspora numérique congolaise en force motrice, afin que « les artisans et les bénéficiaires directs de cette révolution soient avant tout des Congolais ». Une gouvernance ouverte impliquant société civile, acteurs privés et autorités traditionnelles est également annoncée, afin d’enraciner la confiance et d’éviter la fracture numérique.
Partenariats stratégiques et transfert de savoir-faire
Le groupe Thalès, représenté par Laurent Jutard, figure parmi les partenaires techniques sollicités. Son expertise en solutions d’identification sécurisée doit faciliter la délivrance dématérialisée des actes d’état civil et des documents de voyage. Outre la fourniture de technologies de pointe, l’accord prévoit un transfert de compétences vers les équipes congolaises, condition sine qua non pour pérenniser la solution. Le Ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, pilote historique de l’état civil, s’appuie sur cette coopération pour achever la numérisation intégrale des registres dans le cadre du Système d’Information des Faits d’État Civil (SIFEC).
Un levier sécuritaire dans un environnement régional mouvant
Dans le Bassin du Congo, marqué par la porosité des frontières et la circulation intense de populations, l’identité numérique revêt une dimension sécuritaire incontestable. Bonsang Oko Letchaud, préfet et directeur général de l’Administration du Territoire, souligne que la fiabilité des identifiants électroniques permettra de mieux contrôler les flux transfrontaliers, de lutter contre la traite des personnes et de prévenir le financement illicite. En promouvant des standards interopérables, Brazzaville espère aussi renforcer la coopération policière avec les pays voisins, tout en positionnant le Congo comme acteur responsable de la cybersécurité régionale.
Vers une économie de la donnée inclusive et compétitive
Au-delà de la modernisation administrative, les décideurs congolais envisagent une véritable économie de la donnée. Les identifiants numériques devraient ouvrir la voie au développement de services financiers mobiles, de plateformes de e-santé et de e-éducation, autant de domaines susceptibles de créer des emplois qualifiés et d’attirer l’investissement privé. La Banque mondiale anticipe que le produit intérieur brut pourrait bénéficier d’un gain de productivité significatif grâce à la réduction des formalités et à l’amélioration de la gouvernance. Reste le défi de l’inclusion : selon les estimations nationales, près de 30 % de la population n’est pas encore connectée à Internet. Le gouvernement entend combler ce déficit d’infrastructure par un plan d’extension de la fibre optique et des réseaux 4G, condition sine qua non pour que l’identité numérique ne devienne pas un facteur d’exclusion.
Une dynamique engagée, entre prudence et optimisme
Le projet d’identité numérique congolaise se situe donc à la croisée des chemins : instrument de souveraineté, catalyseur économique et vecteur de cohésion sociale. Les ateliers consultatifs doivent déboucher, avant la fin de l’année, sur une stratégie opérationnelle assortie d’un calendrier précis. Alors que de nombreux États africains observent cette démarche avec attention, Brazzaville affiche un pragmatisme assumé : avancer par paliers, sécuriser chaque étape, puis élargir progressivement l’éventail des applications. Si le pari est tenu, le citoyen congolais pourra bientôt effectuer ses démarches administratives « en un clic », sans sacrifier ses droits fondamentaux – une promesse qui, pour beaucoup, illustre la maturité croissante de la gouvernance numérique en Afrique centrale.