Le choix inédit de huit SVT camerounaises
En décidant de confier la structuration d’une levée de 70 milliards de FCFA, soit environ 120 millions USD, à huit établissements agréés comme Spécialistes en valeurs du Trésor au Cameroun, le Ministère congolais des Finances bouscule les habitudes d’un marché dominé par les banques locales. Afriland First Bank, Commercial Bank Cameroon, BGFI Cameroon, SCB Cameroun et leurs consœurs constituent le premier cercle de cette syndication régionale placée sous la coupole de la Banque des États de l’Afrique centrale. « Le guichet sous-régional offre aujourd’hui la profondeur de liquidité que recherchent nos clients souverains », confie un cadre dirigeant d’Afriland, soulignant l’appétit croissant des investisseurs institutionnels pour la signature congolaise.
Objectifs macrobudgétaires du Trésor congolais
Cette émission s’inscrit dans la programmation budgétaire 2024–2026 validée en conseil des ministres à Brazzaville. Elle vise essentiellement à lisser l’échéancier de la dette intérieure et à accompagner la relance des investissements publics après les chocs successifs de la pandémie et de la volatilité pétrolière. Selon le dernier rapport du Fonds monétaire international, l’encours de la dette du Congo-Brazzaville est passé sous le seuil de 70 % du PIB, traduisant « un effort soutenu de consolidation fiscale ». L’opération actuelle permettra de refinancer des bons du Trésor arrivant à maturité tout en limitant la pression sur les réserves de change de la CEMAC.
Un marché sous surveillance de la CEMAC
Depuis la réforme de 2021, la BEAC conditionne ses adjudications à des critères stricts de soutenabilité. Les émetteurs doivent notamment présenter des trajectoires d’endettement compatibles avec la stratégie régionale de stabilité. Le Trésor congolais, qui bénéficie de la notation B- chez Fitch Ratings, mise sur des maturités étagées de trois à sept ans, avec des coupons compris entre 6 % et 6,5 %. D’après un analyste de Douala, « l’attrait des titres congolais tient à un couple rendement-risque plus favorable que ceux d’autres économies pétrolières de la zone ». Les résultats de l’adjudication, attendus fin juillet, serviront de baromètre à l’ensemble des émetteurs publics de la CEMAC.
Lecture géopolitique d’une coopération Sud-Sud
Au-delà des considérations purement financières, la mobilisation de banques camerounaises traduit une volonté politique de renforcer l’intégration sous-régionale. Elle s’inscrit dans le sillage du Sommet extraordinaire de la CEMAC de mars 2023 au cours duquel les chefs d’État, dont Denis Sassou Nguesso, ont plaidé pour une meilleure mutualisation des marchés de capitaux. « En faisant appel à nos voisins, Brazzaville envoie un signal d’ouverture et de confiance », observe un diplomate basé à Libreville, rappelant que le volume des échanges hors pétrole entre le Congo et le Cameroun a progressé de 18 % en 2023.
Attractivité et risques perçus par les investisseurs
Les investisseurs évaluent positivement la trajectoire de consolidation budgétaire pilotée par le gouvernement congolais, en adéquation avec le programme conclu avec le FMI en 2022. La transparence accrue des appels d’offres, la modernisation du système de suivi des engagements et la mise en place d’un comité interministériel de la dette ont amélioré la visibilité sur les flux financiers publics. Néanmoins, certains gérants de portefeuilles demeurent attentifs à la dépendance du pays aux recettes pétrolières. Le ministère des Finances souligne pour sa part la montée en puissance du bois, de l’agro-industrie et des télécommunications, appelés à porter plus d’un tiers des recettes hors hydrocarbures à l’horizon 2026.
Vers une gestion plus active de la dette intérieure
La démarche actuelle préfigure une stratégie de gestion active de la courbe de rendements domestique. Brazzaville projette d’allonger la maturité moyenne de son portefeuille obligataire à cinq ans et demi, contre quatre ans aujourd’hui, afin de réduire le risque de refinancement. Des discussions sont également en cours avec la Banque mondiale pour la mise en place d’instruments de couverture contre les fluctuations de taux. « Nous voulons instaurer une culture de marché qui dépasse la simple logique de trésorerie », résume un haut fonctionnaire du Trésor, évoquant la perspective d’émissions thématiques vertes destinées au financement de la transition énergétique.
Retombées attendues pour la stabilité régionale
Si l’opération d’un montant de 120 millions USD aboutit aux conditions espérées, elle confortera la crédibilité du marché sous-régional à un moment où plusieurs économies de la CEMAC cherchent à diversifier leurs sources de financement. L’afflux de liquidités ainsi mobilisées devrait soutenir la convergence nominale, renforcer le taux de couverture de la monnaie commune et, in fine, consolider la résilience macroéconomique de l’ensemble du bloc. Pour un économiste de la BEAC, « la bonne tenue des adjudications congolaises favorisera un cercle vertueux dans lequel chacun des États trouvera un marché plus profond et donc moins coûteux ».