Une présidence tournante qui se dérobe
Le 7 juillet dernier, dans la salle lambrissée du centre de conférences d’Abuja, l’annonce du nom du président sierra-léonais Julius Maada Bio pour assumer la présidence tournante de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a surpris nombre d’observateurs. À Dakar, certains conseillers confient que Bassirou Diomaye Faye « avait préparé le discours de prise de fonction ». L’épisode, relaté par plusieurs diplomates présents, a été perçu comme un accroc pour le plus jeune chef d’État de la région, élu il y a à peine quelques mois sur la promesse d’une « rupture souveraine ».
En coulisses, les capitales ouest-africaines soulignent cependant que la rotation respecte une logique d’équilibre géographique et que la Sierra Leone n’avait pas occupé cette fonction depuis plus d’une décennie. Le revers apparaît donc moins comme une sanction personnelle que comme un rappel des usages discrets qui régissent l’organisation communautaire.
Le pari diplomatique de Dakar
Depuis son investiture, Bassirou Diomaye Faye a multiplié les signaux d’ouverture, recevant successivement les chancelleries européennes, les émissaires des institutions de Bretton Woods et plusieurs partenaires du Golfe. Au sommet, il a réaffirmé l’attachement du Sénégal à la libre circulation des personnes et des capitaux, au moment où certains voisins prennent leurs distances. « Le président cherche à maintenir le Sénégal au cœur du dispositif régional tout en défendant une posture souverainiste », résume un ancien ministre des Affaires étrangères.
Cette ligne n’est pas sans contradictions. Exiger un rééquilibrage des relations économiques avec les partenaires traditionnels et, simultanément, préserver l’ancrage communautaire suppose une finesse d’exécution que les faux pas protocolaires peuvent fragiliser.
Entre attentes nationales et exigences régionales
Sur le plan intérieur, le nouveau pouvoir doit répondre à une jeunesse qui a massivement voté pour la césure avec l’ancienne garde et réclame une répartition plus équitable des revenus du pétrole et du gaz. À Abuja, plusieurs homologues lui auraient rappelé que « la stabilité macroéconomique de la zone UEMOA reste un bien commun ». Dakar est ainsi prié de ne pas rompre brutalement les cadres qui garantissent la confiance des investisseurs internationaux.
Cette tension entre impératifs domestiques et solidarité régionale se lit aussi dans la gestion des flux migratoires. Le Sénégal, point d’embarquement et désormais d’accueil de populations chassées par les crises sécuritaires du Sahel, plaide pour une approche collective, sans toujours convaincre ceux qui redoutent un appel d’air.
La question de la transition au Sahel
Les relations avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger, engagés dans l’Alliance des États du Sahel, constituent un autre test. Le président sénégalais a pris soin de maintenir le dialogue, dépêchant fin mai un envoyé spécial à Bamako. « Le Sénégal peut jouer l’honnête courtier, car il n’a pas rompu les ponts », observe une source sécuritaire nigérienne.
Néanmoins, la suspension de ces pays de la Cedeao complique les chantiers sécuritaires communs. Le général sénégalais Cheikh Wade, qui commande la Force en attente de la Cedeao, affirme que « les opérations transfrontalières contre les groupes armés nécessitent une coordination que l’isolement politique met à rude épreuve ».
Les marges de manœuvre multilatérales
À New York, où le Sénégal brigue un siège non permanent au Conseil de sécurité pour 2026-2027, la diplomatie sénégalaise s’active déjà. Une victoire à l’ONU permettrait d’atténuer la déception d’Abuja et d’offrir à Bassirou Diomaye Faye une tribune mondiale. Les soutiens recherchés auprès des pays du Golfe et des partenaires asiatiques répondent à cette ambition.
Sur le plan financier, Dakar table sur une diversification des créanciers pour éviter une dépendance excessive aux marchés internationaux. Le rapprochement avec la Banque africaine de développement et la récente adhésion au capital de la Nouvelle banque de développement des BRICS illustrent cette stratégie.
Cap sur un repositionnement prudent
En définitive, l’épisode de la présidence tournante, s’il a bousculé le calendrier, n’hypothèque pas les chances du Sénégal de se repositionner. L’entourage du chef de l’État affirme que « le temps long diplomatique compte plus qu’une symbolique annuelle ». Prudente, la société civile sénégalaise insiste toutefois sur la nécessité de résultats tangibles en matière de sécurité et d’emplois.
Le chef de l’État, lui, s’efforce désormais de transformer la déconvenue en levier de concertation. Un conseil présidentiel sur la diplomatie économique est annoncé d’ici à la fin de l’année pour associer secteur privé et think tanks. Dans ce ballet where chaque pas résonne au-delà des frontières, Bassirou Diomaye Faye mesure que la virtuosité diplomatique se juge autant à la scène qu’en coulisses.