La scène d’une coopération éducative à haute valeur stratégique
Dans la pénombre matinale de l’aéroport Maya-Maya, le 8 juillet, la poignée d’étudiants et d’enseignants congolais qui s’apprêtait à embarquer pour Shenzhen ne quittait guère des yeux le tarmac brillant. Derrière l’anecdote du voyage se dessine un mouvement diplomatique plus large : celui d’un Congo-Brazzaville résolu à ancrer sa jeunesse dans la révolution numérique mondiale. La formation intensive de codage graphique de dix jours, proposée par la plateforme éducative chinoise Codemao, apparaît comme le prolongement naturel de la politique de diversification économique défendue par le président Denis Sassou Nguesso dans le Plan national de développement 2022-2026.
Sélection rigoureuse et ouverture culturelle à l’ère du numérique
Les cinq apprenants ont été retenus à l’issue d’un atelier préparatoire qui, début juillet, avait réuni à Brazzaville une vingtaine de candidats autour d’épreuves mêlant logique algorithmique, créativité visuelle et expression orale. « Notre ambition est de revenir avec un langage universel, celui du code, pour contribuer à la modernisation du Congo », confie Onix-Van Vichy Bossoto, l’un des lauréats, avant d’ajouter que la Chine, désormais référence mondiale en matière d’innovations éducatives, représente un vivier où se conjugue rigueur technologique et imaginaire numérique.
Shenzhen, laboratoire vivant d’un soft power technologique
Capitale mondiale du hardware, la métropole de Shenzhen offre un écosystème où start-up, incubateurs et maisons-mères des géants de la tech côtoient des instituts de recherche avancée. C’est dans ce décor que Codemao initie les étudiants congolais aux arcanes du codage graphique, discipline qui associe syntaxe informatique et design interactif. Les apprenants y découvrent non seulement la programmation orientée objet, mais aussi l’importance de l’UX design dans la compétitivité des applications numériques.
Effet démultiplicateur : former les formateurs pour irriguer tout un système
La délégation comprend deux enseignants issus de l’enseignement secondaire et technique, choix que l’Unesco, partenaire de l’opération, qualifie de « mise en cascade des compétences ». Pour Mme Fatoumata Barry Marega, représentante de l’organisation onusienne à Brazzaville, « cette hybridation entre immersion high-tech et pédagogie locale garantit un retour sur investissement sociétal, car un seul formateur formé peut à terme transmettre le savoir à plusieurs centaines d’élèves ». L’idée rejoint la philosophie de l’École congolaise de la deuxième génération, qui promeut la professionnalisation et l’entrepreneuriat dès le cycle secondaire.
Intelligence artificielle : un horizon déjà présent dans la doctrine congolaise
Le choix du codage graphique n’est pas anodin. Dans un monde où l’intelligence artificielle recompose les chaînes de valeur, l’aptitude à traduire des concepts complexes en interfaces intuitives devient cruciale. Le ministère congolais de l’Économie numérique voit, dans cette formation, la première marche d’une politique d’accélération des compétences rares, à même de positionner Brazzaville comme hub régional de la créativité technologique. Les ambitions fonctionnent en synergie avec la stratégie opérationnelle de l’Unesco 2022-2029 pour la priorité Afrique, qui préconise l’usage du numérique pour réduire les inégalités de savoir.
Insertion professionnelle et entrepreneuriat : un pari sur la compétence locale
En cultivant l’expertise de jeunes développeurs, le gouvernement consolide l’édifice d’une croissance endogène. Les bénéficiaires, à leur retour, sont appelés à lancer des ateliers de code dans les maisons de jeunesse, puis à créer des prototypes d’applications adaptées aux réalités congolaises : paiement mobile, cartographie agro-forestière, jeux éducatifs en langues nationales. L’Agence de développement de l’économie numérique compte mobiliser des micro-crédits pour accompagner ces projets embryonnaires, persuadée qu’une économie numérique inclusive contribue à la stabilité sociale.
Vers une diplomatie de la connaissance durable
Le séjour de Shenzhen constitue la deuxième phase du projet Codemao en Afrique centrale, amorcé en 2023 par des cours en ligne ouverts au public congolais. Le ministère chinois de l’Éducation envisage déjà un troisième cycle, plus long, destiné à l’ingénierie logicielle avancée. Au-delà de la technique, c’est une forme de diplomatie douce qui s’affirme : grâce à l’échange de savoir, Pékin et Brazzaville consolident une relation bilatérale vieille de près de soixante ans, désormais élargie au domaine intangible de la propriété intellectuelle.
Une dynamique alignée sur la vision présidentielle
Le président Denis Sassou Nguesso n’a eu de cesse, depuis le Forum Investir en Afrique de 2015, d’appeler à un changement de paradigme basé sur l’économie de la connaissance. La mobilité des étudiants vers la Chine vient donner corps à cette orientation, démontrant que la diplomatie congolaise sait articuler intérêts nationaux et opportunités internationales. Pour les diplomates observateurs, l’enjeu réside désormais dans la pérennisation du programme, afin de transformer l’étincelle d’une expérience pilote en lumière durable pour toute une génération.