Une alerte rapidement objectivée par la veille épidémiologique
Le 10 juillet, la direction départementale de la santé de Brazzaville signale une recrudescence inhabituelle de diarrhées aqueuses sur l’île-Mbamou, territoire insulaire lové au cœur du fleuve Congo. Deux semaines plus tard, les analyses menées par le Laboratoire national de santé publique confirment la présence de Vibrio cholerae sur deux des trois prélèvements effectués. « Aucun retard n’a entaché la chaîne de notification : le pays est resté fidèle aux exigences du Règlement sanitaire international », souligne le ministre de la Santé et de la Population, Jean Rosaire Ibara, lors d’un point de presse le 26 juillet. En rendant publique l’information, le gouvernement opte pour la transparence, convaincu qu’une communication précoce constitue la première mesure de contrôle.
La riposte gouvernementale, entre pragmatisme et anticipation
Dès l’homologation des résultats, un centre de traitement ad hoc est installé dans le district sanitaire, renforcé par des stocks d’hypochlorite de calcium, de sels de réhydratation orale et d’antibiotiques de première ligne. Les équipes mixtes, composées de cliniciens congolais et de conseillers de l’Organisation mondiale de la santé, sillonnent les villages riverains pour cartographier les points d’eau à risque et former les relais communautaires. « La doctrine est simple : casser la chaîne de transmission dans les quarante-huit heures », confie un épidémiologiste dépêché par le bureau de l’OMS à Brazzaville. La disponibilité d’un stock tampon, constitué depuis la flambée de 2017, a permis de déployer sans délai les solutions chlorées sur les forages et les puits artésiens de l’île.
Un contexte régional qui renforce l’approche préventive
L’épidémie survient alors que l’Angola, dans la province de Cabinda, et la République démocratique du Congo, à Kinshasa comme dans l’Équateur, font face à des foyers similaires. Le fleuve, couloir commercial et social, favorise de facto la circulation du Vibrio. Brazzaville a donc activé le mécanisme d’alerte croisée institué par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale ; des données actualisées sont échangées quotidiennement avec Luanda et Kinshasa. Les partenaires multilatéraux saluent cette diplomatie sanitaire concrète, qui transforme un événement épidémique en opportunité de coopération stratégique.
Hydrologie, urbanisation et vulnérabilités structurelles
L’île-Mbamou concentre, selon le dernier recensement, près de 18 000 habitants vivant pour moitié d’une pêche de subsistance. La montée saisonnière des eaux submerge régulièrement les latrines traditionnelles et contamine les captages peu profonds. À cela s’ajoute une urbanisation diffuse, sans raccordement systématique au réseau d’adduction d’eau potable. Le Centre inter-État de coordination hydrologique note que le niveau du fleuve, cette année, a dépassé de 12 centimètres la moyenne décennale, diluant les polluants mais redistribuant aussi les déjections humaines en amont des zones d’habitat. Cet enchevêtrement de facteurs rend la prévention plus complexe et exige une approche articulée entre santé, environnement et aménagement du territoire.
Communication de crise : pédagogie et confiance mutuelle
L’expérience des flambées antérieures rappelle qu’une population bien informée adhère plus facilement aux comportements-barrières. Les radios communautaires, supports privilégiés dans un espace où la pénétration d’internet reste modeste, diffusent des messages en lingala et en kituba, détaillant les bonnes pratiques et les symptômes d’alerte. Les autorités insistent sur la gratuité des soins dans les structures publiques pour tout cas suspect, démarche saluée par le Fonds des Nations unies pour l’enfance. « La gratuité annihile l’automédication hasardeuse et réduit les décès domiciliaires », analyse un sociologue de la santé de l’Université Marien-Ngouabi.
Vers une résilience pérenne du système de santé
Au-delà de la gestion immédiate, Brazzaville se projette déjà dans l’après-crise. Un plan d’amélioration de la qualité de l’eau, piloté par la Société nationale de distribution d’eau, prévoit la réhabilitation de quatre stations de pompage et l’extension du réseau jusqu’au hameau de Koba avant fin 2024. Parallèlement, le ministère de la Santé entend renforcer les capacités de diagnostic in situ afin de réduire la dépendance vis-à-vis du laboratoire central. L’appui technique de la Banque africaine de développement doit permettre l’installation de mini-laboratoires modulaires dans les zones fluviales excentrées.
Lecture diplomatique d’une urgence sanitaire
La mobilisation autour de l’île-Mbamou illustre une facette méconnue de la politique étrangère congolaise : faire de la santé un vecteur de crédibilité régionale. Alors que nombre d’États oscillent entre secret et déni, la divulgation rapide des données épidémiologiques conforte l’image d’un partenaire fiable. Les bailleurs y voient la preuve que les ressources injectées seront accompagnées d’une gestion rigoureuse. Les officiels de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, réunis à Libreville en marge du Conseil des ministres de la Santé, ont salué « la réactivité exemplaire de Brazzaville, gage de stabilité pour l’ensemble du bassin du Congo ».
Cap sur la saison sèche, entre prudence et optimisme
Le reflux attendu des eaux à l’approche de la saison sèche devrait logiquement réduire la propagation du Vibrio, mais les autorités restent vigilantes. Le dernier bilan, stabilisé à 103 cas suspectés dont 12 décès, n’a pas enregistré de nouveau foyer depuis quarante-huit heures, signe que la stratégie porte ses fruits. Les équipes demeurent néanmoins en alerte, prêtes à déployer des vaccins oraux si l’OMS recommande cette option. En filigrane, la gestion maîtrisée de cette épidémie conforte la dynamique actuelle de consolidation du système de santé, enjeu majeur du Plan national de développement 2022-2026.