Deuil national et unité gouvernementale face au choc collectif
Au matin du 26 juin, Bangui s’est réveillée dans un silence lourd, ponctué par le tocsin des cloches et les sirènes des ambulances. Vingt-neuf corps, tous âgés de dix-sept à vingt ans, ont été recensés dans les hôpitaux de la capitale, victimes d’une bousculade déclenchée par l’explosion d’un transformateur électrique au lycée Barthélemy-Boganda (ministère de la Santé). Le président Faustin-Archange Touadéra a immédiatement décrété trois jours de deuil national, appelant, dans une allocution au ton grave, à « la solidarité du monde de l’éducation, du corps médical et des forces de défense » afin de conjurer la sidération collective.
Ce moment de communion nationale ne masque pourtant pas la préoccupation diplomatique : dans un pays encore marqué par des années de conflit, la démonstration de cohésion institutionnelle sert de contre-poids aux doutes exprimés par les chancelleries étrangères sur la capacité de l’État centrafricain à protéger sa jeunesse.
Défaillance infrastructurelle : révélateur d’un malaise structurel
Le transformateur défaillant, installé au rez-de-chaussée d’un bâtiment scolaire des années 1970, était censé subir des opérations de maintenance depuis plusieurs mois, selon la Direction générale de l’énergie centrafricaine. Le courant a été rétabli alors que des techniciens travaillaient encore sur l’appareil, provoquant une détonation, un nuage d’étincelles puis la panique de plus de 5 300 candidats. Cette chaîne d’erreurs techniques et humaines met en lumière la vétusté chronique des infrastructures publiques.
L’Agence française de développement et la Banque mondiale identifient, depuis 2019, l’électricité comme « le talon d’Achille de l’économie centrafricaine ». Or, l’événement du lycée Boganda élargit l’enjeu : il ne s’agit plus seulement d’alimenter les foyers, mais d’assurer la sécurité physique d’élèves rassemblés pour un examen national, qui demeure l’un des rares rituels républicains partagés dans le pays.
Gouvernance de crise et regard de la communauté internationale
À peine la tragédie confirmée, la MINUSCA a mis ses hôpitaux de campagne en alerte et dépêché des psychologues auprès des familles. De son côté, le gouvernement a promis une « enquête judiciaire transparente ». La formule, devenue familière, n’a pas suffi à dissiper le scepticisme d’ONG locales, pour qui la publication des conclusions d’enquêtes précédentes tarde souvent. L’efficacité de la chaîne de commandement sera scrutée, tant par les bailleurs que par les diplomates de l’Union africaine, qui font du renforcement des institutions un préalable à toute aide budgétaire additionnelle.
Le drame intervient au moment où Bangui négocie une rallonge de 70 millions de dollars auprès du Fonds monétaire international. L’incident, perçu comme le symptôme d’un État incapable d’entretenir une simple installation électrique, risque de peser dans les évaluations de gouvernance. Un diplomate européen basé à Yaoundé, joint par téléphone, confie que « la question n’est plus uniquement budgétaire ; elle devient existentielle pour la crédibilité de l’exécutif centrafricain ».
Enjeux éducatifs et traumatisme générationnel
Le Baccalauréat concentre, sous toutes les latitudes, les espérances familiales et les ambitions nationales. En Centrafrique, où moins de quinze pour cent d’une classe d’âge accède à l’enseignement supérieur, l’examen incarne une voie de mobilité sociale presque unique. L’annonce de la suspension des épreuves renvoie des milliers de candidats dans l’incertitude, certains ayant parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour composer.
Au-delà du calendrier académique, psychologues et pédagogues redoutent un syndrome de stress post-traumatique de masse. La ministre chargée de l’Éducation, Ginette Amara, a évoqué la possibilité de centres d’examen délocalisés et d’un accompagnement psychosocial, mais la question reste entière : quelles ressources mobiliser dans un État où le budget de l’éducation plafonne à 2,9 % du PIB ?
Solidarité régionale et diplomatie humanitaire
Le Rwanda, partenaire sécuritaire de Bangui, a proposé l’envoi d’une équipe de soutien médical, tandis que le Cameroun voisin a fait parvenir des générateurs de secours. Ces gestes, hautement symboliques, s’inscrivent dans une logique de diplomatie humanitaire qui dépasse la simple compassion. Pour Kigali, il s’agit de consolider une image de pourvoyeur de sécurité en Afrique centrale ; pour Yaoundé, de montrer que la frontière orientale ne saurait être abandonnée à l’instabilité.
L’Union africaine, par la voix de son président Moussa Faki Mahamat, a insisté sur « l’urgence de mettre en œuvre un plan africain de mise à niveau des infrastructures scolaires ». La proposition, accueillie favorablement par Niamey et Dakar, pourrait se traduire par un programme continental assorti de financements mixtes, mais butera, à court terme, sur la question de la soutenabilité de la dette.
Renforcer la prévention des catastrophes, impératif souverain
La Centrafrique s’était dotée, en 2022, d’un Plan national de réduction des risques de catastrophe. Le document mentionne les inondations, les épidémies ou encore les incendies, mais la sécurité électrique n’y figure qu’en annexe. La tragédie du lycée Boganda rappelle brutalement que la prévention des accidents technologiques doit devenir un pilier de la sécurité nationale.
À court terme, l’exécutif promet l’audit de toutes les installations électriques des établissements publics. À moyen terme, l’enjeu sera d’intégrer la maintenance préventive dans le cycle budgétaire, afin d’éviter que les réparations de fortune ne précèdent, de quelques minutes, la déflagration fatale. Seule la concrétisation de ces engagements permettra au président Touadéra de transformer un moment de deuil en tournant politique, et de restaurer la confiance d’une jeunesse qui, le temps d’un examen, avait cru à la promesse républicaine.