Une panique foudroyante au cœur du baccalauréat centrafricain
Bangui n’avait peut-être pas connu pareille sidération depuis la crise politique de 2013. Le 25 juin 2025, alors que 5 300 candidats s’attelaient à la dissertation de philosophie dans l’enceinte mythique du lycée Barthélémy Boganda, une déflagration sèche a rompu le silence studieux. Le transformateur de la Société nationale d’électricité, ENERCA, en cours de maintenance, a cédé ; aussitôt la rumeur d’un attentat s’est propagée plus vite que l’onde de choc. En moins d’une minute, les couloirs se sont transformés en goulot d’étranglement, l’escalier principal en piège mortel. Vingt-neuf vies adolescentes ont été broyées, plus de 260 corps meurtris, et le président du centre d’examen a succombé sous la pression de la foule.
Le révélateur d’un système électrique à bout de souffle
La vétusté du réseau centrafricain ne surprend plus les partenaires techniques. ENERCA fonctionne encore, pour partie, sur des infrastructures héritées des années 1970 et mal adaptées à l’urbanisation galopante de la capitale. Devant la presse, un ingénieur chevronné de l’entreprise a reconnu « des travaux de fortune faute de pièces détachées », tandis que la Banque africaine de développement estime à 400 millions de dollars le besoin d’investissement pour stabiliser la desserte. L’explosion de Bangui est donc le symptôme d’une équation énergétique non résolue : demande croissante, maintenance aléatoire, financements erratiques, et, en toile de fond, un climat d’insécurité qui complique la supervision des sites stratégiques.
Gestion de crise : entre compassion présidentielle et critiques acerbes
Depuis Bruxelles, où il participait à une conférence sur la consolidation de la paix, le président Faustin-Archange Touadéra a décrété trois jours de deuil national et ordonné l’ouverture d’une enquête indépendante. « Toute la lumière sera faite », a-t-il promis. Le geste, jugé tardif par certaines familles, n’a pas apaisé les griefs. Le Bloc républicain pour la défense de la constitution accuse le gouvernement de « laxisme criminel » pour n’avoir ni révisé les plans d’évacuation scolaire ni exigé de protocole de sécurité pendant l’examen. Dans les travées de l’Assemblée nationale, plusieurs députés de la majorité concèdent en privé que la culture de prévention « est demeurée lettre morte ».
L’épreuve des hôpitaux et la diplomatie humanitaire en alerte
À l’hôpital communautaire de Bangui, déjà saturé par le paludisme saisonnier, les brancards ont envahi les couloirs. Médecins Sans Frontières a déployé une équipe chirurgicale d’urgence, tandis que la MINUSCA a fourni des unités de sang en provenance de son contingent rwandais. Le ministre de la Santé, Pierre Somsé, a plaidé pour « une solidarité internationale rapide », soulignant que 40 % des blessés présentent des traumatismes orthopédiques complexes. Plusieurs chancelleries européennes ont annoncé un appui logistique ; Paris a expédié un lot d’antalgiques et de fixateurs externes par vol spécial. Cet afflux de dons, s’il témoigne d’une mobilisation bienvenue, met aussi en exergue la dépendance chronique du système sanitaire centrafricain aux ONG et partenaires étrangers.
École et mémoire : la résilience comme impératif national
Dans la cour encore jonchée de cahiers abandonnés, les survivants sont revenus déposer bougies et cahiers ornés du drapeau tricolore. Le psychologue Augustin Ngangué avertit toutefois que « l’absence de prise en charge post-traumatique pourrait compromettre l’avenir académique d’une génération ». Le ministère de l’Éducation envisage une reprise des épreuves d’ici fin juillet dans un site provisoire, sous supervision de la Croix-Rouge centrafricaine. Des ONG locales réclament déjà l’édification d’un mémorial permanent, à l’image du monument de N’Djamena érigé après le crash de 2011, afin d’inscrire le deuil dans la mémoire collective et de transformer la tragédie en levier de réforme.
Au-delà du choc, un test de crédibilité pour l’État centrafricain
Pour les chancelleries qui suivent le dossier centrafricain, l’enjeu dépasse la seule réparation des familles endeuillées. La sécurisation des établissements scolaires figure désormais au rang des indicateurs de gouvernance pris en compte par les bailleurs multilatéraux. Selon un diplomate de l’Union européenne, « la capacité de Bangui à tirer les leçons de ce drame conditionnera l’orientation future de l’aide budgétaire ». En toile de fond, se joue aussi la compétition d’influence entre Moscou et les capitales occidentales ; chacune souhaite se positionner comme partenaire de la reconstruction, qu’il s’agisse de réhabiliter le réseau électrique ou de dispenser des formations en gestion de risques.
Vers une refonte des normes de sécurité et de maintenance
Le gouvernement a chargé un comité interministériel de rédiger, sous trois mois, un plan d’action incluant audit des infrastructures scolaires, norme de certification des transformateurs et mécanismes de simulation d’évacuation. Sur le papier, la feuille de route s’inspire des standards de la CEDEAO, mais sa mise en œuvre dépendra du budget national et de la volonté politique. Les partenaires bilatéraux insistent pour lier toute aide à un calendrier précis, tandis que la société civile réclame un droit de regard permanent. Or, dans un pays où la crise sécuritaire mobilise l’essentiel des ressources publiques, le pari de la prévention reste fragile. L’explosion du lycée Boganda agit ainsi comme rappel brutal : sans investissement structurel, le moindre choc technique peut dégénérer en tragédie nationale.