Bambari, épicentre d’un désarmement hautement symbolique
Sous un soleil cuisant, la cour du camp militaire de Bambari a vu défiler mi-août des silhouettes longtemps redoutées. Alignés, les 527 membres de l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) ont remis fusils d’assaut, lance-roquettes et munitions aux autorités, en présence d’observateurs de la MINUSCA et de diplomates de l’Union africaine. « C’est l’un des plus importants regroupements d’armes depuis l’Accord de Khartoum de 2019 », s’est félicité le ministre de la Communication Maxime Balalou, insistant sur « la volonté de tourner la page de la partition militaire du territoire ».
Le geste, s’il cristallise un espoir, s’inscrit dans une dynamique déjà amorcée par la signature du plan national Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Rapatriement (DDRR). Depuis 2018, près de 6 000 combattants ont, selon Bangui, rejoint ce programme. Pourtant, la fatigue logistique du gouvernement et le caractère monolithique de certains groupes rivaux relativisent l’effet d’annonce.
Les arcanes d’un DDRR confronté aux réalités du terrain
La mécanique DDRR repose sur un triptyque exigeant : sécurité, réinsertion économique et justice transitionnelle. Dans les faits, la promesse d’allocations temporaires ou d’une formation professionnelle se heurte à un Trésor public exsangue. L’Agence nationale chargée du programme témoigne d’un taux de réintégration durable inférieur à 40 %, reconnaissant « une fragilité résultant du manque de débouchés agricoles et urbains », tandis que la Banque mondiale conditionne son soutien financier à des audits réguliers.
À ce déficit structurel s’ajoute la volatilité des alliances armées. À Besson, dans l’ouest, les heurts du mois dernier entre éléments du 3R et factions anti-balaka ont rappelé qu’un groupe désarmé ne neutralise pas mécaniquement ses adversaires. Selon une source onusienne, l’UPC demeurerait active dans certaines zones minières périphériques où la taxation illégale de l’or reste plus lucrative que l’abandon des armes.
Influences régionales et jeu d’ombres des partenaires sécuritaires
La consolidation de la paix centrafricaine ne dépend pas exclusivement des volontés internes. Le Tchad, le Soudan et la RDC, dont les frontières poreuses servent de couloirs logistiques, pèsent sur l’équation sécuritaire. La récente recrudescence de miliciens soudanais fuyant Darfour illustre la porosité d’un théâtre sahélo-équatorial où circulent armes, minerais et mercenaires.
Parallèlement, l’engagement croissant de sociétés militaires privées russes, officiellement présentes pour former les forces armées centrafricaines (FACA), suscite des réserves occidentales. Un diplomate européen note que « leur influence contribue à rétablir l’autorité de l’État dans certaines préfectures, tout en nourrissant un ressentiment chez des groupes qui dénoncent un déséquilibre des appuis extérieurs ». L’ONU plaide pour une complémentarité plutôt qu’une concurrence entre ces différents soutiens.
Crisis humanitaire persistante et diplomatie de la compassion
Plus d’un quart des 6,1 millions de Centrafricains demeurent déplacés ou réfugiés. Les flambées de violence récentes ont aggravé l’insécurité alimentaire dans l’Ouham et la Vakaga, où les convois humanitaires sont fréquemment retardés. « Nous sommes face à un taux de malnutrition aiguë supérieur au seuil d’urgence de l’OMS », alerte Médecins Sans Frontières.
Le gouvernement, conscient que la paix se juge aussi au frigo de chaque foyer, multiplie les plaidoyers auprès de l’Union européenne et de la Banque africaine de développement. Mais la compétition mondiale des crises – d’Ukraine à Gaza – raréfie l’attention internationale. Dans ce contexte, Bangui mise sur le narratif d’une transition irréversible vers la stabilité pour sécuriser les financements, quitte à l’exposer au soupçon d’optimisme excessif.
Vers un contrat social renouvelé ou un énième sursis ?
À l’aune des paramètres observés, la reddition de l’UPC constitue une avancée tactique plus que stratégique. Elle offre à l’exécutif une vitrine de succès, indispensable à l’approche des élections locales différées depuis 1988, mais ne saurait masquer l’urgence de réformes institutionnelles plus larges, notamment la décentralisation budgétaire et la modernisation de la justice militaire.
Les diplomates régionaux convergent vers l’idée qu’une pacification durable passera par la création d’emplois et la restauration de l’autorité administrative dans les sous-préfectures. « Le désarmement donne un répit, pas un destin », résume un chercheur de l’ISS basé à Pretoria. Autrement dit, le dépôt de 500 fusils à Bambari ne signifiera véritablement la fin des conflits que si chaque ex-combattant trouve un chemin crédible vers l’économie formelle et si l’État se montre capable de protéger autrement que par la présence ponctuelle de forces alliées.
En attendant, la Centrafrique reste suspendue à un équilibre fragile : celui d’une paix encore embryonnaire, mais suffisamment tangible pour ne pas être sacrifiée sur l’autel des agendas concurrents.