La commémoration, révélateur d’une conscience postcoloniale
La date du 2 juillet 2025, marquant le centenaire de Patrice Émery Lumumba, a déclenché une série de cercles de réflexion et de cérémonies officielles à Kinshasa, Bruxelles et Brazzaville. Au-delà de la célébration, l’événement agit comme un miroir qui renvoie les deux rives du fleuve Congo à leur propre trajectoire de décolonisation. Dans les salons diplomatiques de Brazzaville, on rappelle qu’en 1960, alors que la République du Congo venait d’obtenir son indépendance, la déflagration politique provoquée par l’assassinat du jeune Premier ministre congolais voisin avait alimenté de vives interrogations sur la solidité des institutions naissantes. Aujourd’hui, en revisitant cette figure, les chancelleries soulignent la nécessité d’une lecture apaisée de l’histoire pour ancrer durablement la stabilité régionale.
Un assassinat devenu matrice de la diplomatie des mémoires
Le 17 janvier 1961, dans les savanes katangaises, Lumumba et deux de ses compagnons furent exécutés, avant que leurs corps ne soient dissous à l’acide. L’opération, orchestrée par des officiers belges, visait à effacer toute trace de la victime. Cet acte d’une violence extrême s’est mué, au fil des décennies, en paradigme de la négation coloniale. Les universitaires congolais évoquent un « mémoire acide » pour qualifier la tentative d’effacement physique et symbolique. Sur la scène internationale, cet épisode a nourri une diplomatie des excuses : de la reconnaissance de responsabilité exprimée par Louis Michel en 2002, jusqu’à l’inhumation officielle d’une dent du défunt, restituée en 2022 à ses enfants. Chaque geste diplomatique vient rappeler que la gestion du passé reste inséparable de la légitimité présente.
Une dent en or, vecteur d’une justice longtemps différée
Lorsque le commissaire belge Gérard Soete avoua, en 1999, détenir encore une dent en or prélevée sur la dépouille, l’opinion internationale découvrit l’ampleur de la profanation. L’objet, devenu relique malgré lui, s’est transformé en preuve matérielle d’un crime qui, jusque-là, se transmettait surtout par la parole. L’affaire a indiqué que les reliques humaines pouvaient aussi participer à un dialogue juridico-politique entre États. Bruxelles, contraint d’acter la restitution, s’est engagé dans une coopération d’archives avec Kinshasa. Ce processus, examiné avec attention par les diplomates brazzavillois, offre un précédent utile pour d’autres dossiers de restes humains ou d’œuvres d’art africain déplacés durant la période coloniale.
Déclinaisons contemporaines de l’héritage lumumbiste
Lumumba, chantre d’une souveraineté sans concession, demeure une source d’inspiration pour les dirigeants de la sous-région. À Brazzaville, où la diplomatie présidentielle met l’accent sur la non-ingérence et la médiation, l’épisode lumumbiste rappelle que l’indépendance ne saurait être dissociée du contrôle effectif des leviers économiques et sécuritaires. Dans une récente table ronde organisée par l’Institut congolais des relations internationales, des experts ont relevé que la gestion des ressources stratégiques, qu’il s’agisse du pétrole offshore brazzavillois ou du cuivre katangais, exige une gouvernance transparente afin d’éviter les interférences extérieures qui avaient fragilisé le Congo-Léopoldville des années 1960.
Entre pan-africanisme et réalités géo-économiques
Le discours du 30 juin 1960, dans lequel Lumumba dénonçait « l’esclavage dégradant imposé au canon du fusil », constitue encore aujourd’hui un élément de rhétorique mobilisé dans diverses capitales africaines. Toutefois, les réalités géo-économiques ont considérablement changé. Le partenariat sino-africain, la transition énergétique mondiale et les enjeux climatiques introduisent de nouvelles dépendances. Les directions politiques, soucieuses d’attractivité et de diversification de leurs partenaires, redéfinissent donc la notion même d’autodétermination. C’est là que l’héritage du jeune Premier ministre trouve toute sa pertinence : il convoque la vigilance face aux conditionnalités externes, sans pour autant condamner l’ouverture internationale.
Leçons diplomatiques pour la stabilité régionale
Cent ans après sa naissance, Patrice Lumumba propose, en creux, une méthode de lecture des relations internationales centrée sur la dignité et la responsabilité. Si l’on observe les mécanismes de concertation mis en place autour du Bassin du Congo, notamment sur la protection des forêts tropicales, on constate que l’esprit de coopération l’emporte désormais sur la logique de confrontation. Brazzaville, régulièrement saluée pour son rôle de facilitateur dans les crises voisines, met en pratique une diplomatie d’équilibre conforme aux aspirations populaires de souveraineté. Ainsi, la mémoire lumumbienne n’est pas qu’un hommage à un passé tragique ; elle nourrit les démarches actuelles visant à consolider la paix et la prospérité partagées.