Une marée fiduciaire aux allures de stress-test régional
La Banque des États de l’Afrique centrale a livré, dans son rapport annuel 2024, un constat en forme de mue : 5 363,3 milliards FCFA circulaient au 31 décembre dans les six États membres, soit l’équivalent de 9,6 milliards USD (BEAC, Rapport annuel 2024). À l’échelle d’une union monétaire longtemps perçue comme relativement liquide mais étroite, cette progression de 13,03 % par rapport à 2023 constitue un véritable stress-test de confiance, autant pour les autorités prudentielles que pour les partenaires extérieurs. La région, traversée par des défis sécuritaires et climatiques, semble paradoxalement avoir trouvé dans la monnaie son dénominateur commun le plus tangible.
Le Cameroun, cœur battant de la liquidité sous-régionale
Avec 2 351,3 milliards FCFA en circulation, soit 44 % de la masse totale, le Cameroun confirme une centralité qui dépasse son produit intérieur brut. La concentration de 34 % du réseau bancaire de la CEMAC sur son sol et l’octroi de près de 67,45 % des nouveaux crédits enregistrés à fin septembre signalent une capacité d’absorption inégalée. Un haut responsable de la Commission CEMAC confiait récemment que « le pouvoir de négociation de Yaoundé sur les stratégies de refinancement dépasse désormais la simple arithmétique démographique » (entretien, mars 2025).
Cette prépondérance ne va pas sans interrogations diplomatiques. Face aux bailleurs multilatéraux, la CEMAC parle d’une voix, mais les variables d’ajustement restent, pour l’essentiel, camerounaises. Les analystes de marchés soulignent qu’une modification brusque de la politique de régulation intérieure de Douala pourrait mécaniquement déplacer le centre de gravité monétaire de toute l’union.
Le rôle pivot du Congo-Brazzaville dans la stabilité
Positionné au troisième rang avec 612,5 milliards FCFA, soit 11,42 % de la circulation fiduciaire, le Congo-Brazzaville occupe une posture moins volumineuse mais hautement stratégique. D’une part, ses autorités monétaires entretiennent un dialogue régulier avec la BEAC autour de la modernisation des systèmes de paiement, élément clé pour fluidifier les échanges interbancaires. D’autre part, la dynamique des emprunts souverains du pays, participés à hauteur de 70 % par des banques camerounaises, révèle une inter-dépendance qui, loin de fragiliser Brazzaville, renforce son ancrage au sein de la gouvernance commune.
Les signaux convergent vers une diplomatie financière prudente mais résolue. Au Forum économique et humanitaire de Djambala en novembre 2024, le président Denis Sassou Nguesso rappelait que « l’enjeu n’est pas tant la quantité de monnaie en circulation que la qualité des projets qu’elle irrigue ». Cette orientation, centrée sur les infrastructures et l’agro-industrie, rassure les partenaires extérieurs tout en préservant la souveraineté économique nationale.
Logiques bancaires et souverainetés imbriquées
Les 56 banques sous-régionales forment un archipel d’intérêts souvent transfrontaliers. Au-delà de la quantité, la ventilation sectorielle du crédit illustre la trajectoire de diversification imposée par les autorités monétaires. Les financements nouveaux se concentrent sur les chaînes de valeur agricole, l’import-substitution et la transition énergétique, autant de créneaux soutenus par la Banque mondiale et la BAD.
Dans ce jeu, Brazzaville entend maintenir un équilibre fin. Le ministère congolais des Finances a, au premier trimestre 2025, actualisé sa feuille de route pour la numérisation des paiements publics. En visant la réduction de la circulation fiduciaire non bancarisée, l’État cherche à optimiser la traçabilité budgétaire sans heurter les habitudes d’une économie majoritairement informelle. Des observateurs y voient le signe d’un alignement pragmatique sur les standards internationaux du GAFI, gage d’une notation souveraine plus favorable à moyen terme.
Cap sur la convergence et les filets de sécurité
À l’horizon 2026, la BEAC mise sur une progression plus modérée de la masse fiduciaire, autour de 6 %. Le Comité de politique monétaire planche sur un schéma de corridor de taux resserré, destiné à contenir l’inflation sous le seuil de 3 %. Cette trajectoire repose néanmoins sur la maîtrise des chocs exogènes, au premier rang desquels la volatilité des cours pétroliers et les tensions géopolitiques en mer Rouge.
Pour le Congo-Brazzaville, la période qui s’ouvre pourrait se traduire par l’élargissement de lignes de swap avec des partenaires asiatiques tout en consolidant les relations traditionnelles avec Paris et Pékin. La gestion active de la dette, opérée depuis deux ans par la Caisse congolaise d’amortissement, témoigne d’une volonté d’éviter le piège d’une liquidité abondante mais improductive. En filigrane, l’ensemble de la CEMAC joue sa crédibilité : démontrer que la hausse spectaculaire de 2024 n’est pas la promesse d’une surchauffe, mais l’expression d’un écosystème bancaire en phase d’élargissement maîtrisé.