Une patrouille décimée et un signal d’alarme pour la communauté internationale
Il était un peu plus de midi, le 20 juin, lorsque l’unité zambienne de la MINUSCA progressait sur la piste rouge qui relie Birao au hameau d’Am-Sissia. La patrouille, habituée aux embuscades sporadiques, ne s’attendait pas à la précision quasi militaire des tirs qui ont fauché le sergent Stephen Muloké Sachachoma, 33 ans, et blessé l’un de ses compagnons d’armes. Dans un communiqué publié le soir même, le Secrétaire général a qualifié l’attaque de « crime de guerre potentiel », rappelant que les opérations de maintien de la paix jouissent d’une protection absolue en droit international.
La promptitude de la réaction diplomatique masque difficilement l’inquiétude croissante au siège de l’Organisation des Nations unies. Trois attaques mortelles contre des Casques bleus en moins de six mois forment un faisceau d’indices alarmant : la MINUSCA n’est plus simplement visée par des groupes criminels opportunistes, elle est désormais prise pour cible par des acteurs transfrontaliers capables de planifier des opérations coordonnées.
Du Darfour au Vakaga : l’effet boomerang de la guerre civile soudanaise
Depuis l’embrasement d’avril 2023, la rivalité entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide se diffuse bien au-delà du théâtre khartoumien. Les services de renseignement centrafricains confirment la présence sporadique de colonnes RSF dans le Vakaga, attirées par les couloirs de contrebande qui relient l’or du nord-est centrafricain aux marchés libyens. Les mêmes réseaux acheminent armes légères et munitions, créant un circuit financier qui irrigue aussi bien les factions soudanaises que les groupes rebelles centrafricains.
Le déplacement de civils soudanais, chassés par les bombardements d’El-Facher, ajoute une pression humanitaire sur une région déjà sous-administrée. Le HCR estime à plus de 45 000 le nombre de réfugiés ayant franchi la frontière depuis janvier. Faute d’infrastructures, les camps de fortune se superposent aux zones d’opération des groupes armés, brouillant la distinction entre populations civiles et combattants infiltrés.
MINUSCA : entre mandat robuste et réalités opérationnelles
Le Conseil de sécurité a prorogé jusqu’en novembre 2024 le mandat de la MINUSCA, en insistant sur la protection des civils et la sécurisation des frontières. Sur le terrain, la mission aligne pourtant moins de 14 000 soldats pour un territoire grand comme la France et le Bénélux réunis. Les hélicoptères d’attaque promis lors de la dernière revue stratégique n’ont toujours pas été livrés, contraignant les contingents à des patrouilles routières vulnérables.
La piraterie budgétaire complique la donne. Plusieurs États contributeurs envisagent de redéployer leurs troupes vers des missions jugées plus prioritaires, notamment en mer Rouge. Le contingent zambien, durement éprouvé, réaffirme néanmoins son engagement. « Nous ne reculerons pas », assure le brigadier Dennis Mukanda, avant de réclamer un renforcement « rapide et tangible » des moyens médicaux d’évacuation.
Responsabilités partagées et diplomatie préventive en échec
Le gouvernement de Bangui soutient officiellement la coopération avec Khartoum pour sécuriser la frontière. Dans les faits, la méfiance prédomine. Les Forces armées centrafricaines manquent de mobilité et s’appuient, dans le Vakaga, sur des supplétifs aux loyautés fluides, tandis que la présence de contractuels russes accentue le brouillage des chaînes de commandement. Pour l’Union africaine, cette fragmentation réduit à néant les mécanismes de confiance censés accompagner l’Initiative de Khartoum signée en 2019.
Les chancelleries occidentales plaident pour un dialogue trilatéral Centrafrique-Soudan-Tchad, assorti d’un mécanisme de vérification conjoint. Or la guerre à Khartoum paralyse tout agenda diplomatique et repousse les priorités au théâtre centrafricain. À New York, plusieurs délégations s’interrogent : la MINUSCA peut-elle durablement compenser l’effacement de la responsabilité première des États de la région ?
Vers une reconfiguration de la sécurité collective au Sahel-Centre
L’attaque d’Am-Sissia rappelle que l’arc soudano-centrafricain s’inscrit désormais dans la même matrice d’instabilité que le Sahel occidental. Pour nombre d’experts, seule une approche intégrée mêlant lutte contre les trafics, développement des corridors routiers et renforcement des institutions locales pourra freiner la spirale de violence. Encore faut-il que les bailleurs acceptent de maintenir des financements, dans un contexte où la fatigue des opérations de paix gagne les opinions publiques du Nord.
À court terme, l’ONU n’a guère d’alternative à l’envoi de renforts ponctuels et à la mise en place de dispositifs de surveillance aérienne. À plus longue échéance, la mort du sergent Sachachoma pourrait catalyser une réflexion sur la gouvernance sécuritaire régionale : faut-il, comme le suggère l’Union africaine, mutualiser certains contingents de maintien de la paix pour couvrir simultanément les frontières soudanaises et tchadiennes ? La question, encore théorique, devient chaque jour plus pressante à mesure que les lignes de front s’estompent et que les groupes armés franchissent les frontières avec une aisance inquiétante.