Un taux d’activation conforme alarmant
Moins d’une carte SIM sur dix est activée dans les règles au Congo-Brazzaville, selon les derniers relevés de l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques. L’autorité attire l’attention sur une dérive qui pourrait compromettre à la fois la sécurité et la confiance numérique.
L’étude menée du 23 juillet au 28 août 2025 dans dix-huit localités montre que seules 9,13 % des activations remplissent les formalités d’identification, contre 13,20 % en 2024. La tendance est donc clairement négative, malgré des textes pourtant inchangés depuis plusieurs années.
Pour Benjamin Mouandza, directeur des réseaux et services de communication électronique, ces chiffres « démontrent que les process internes n’ont pas suivi la croissance du parc d’abonnés ». Il estime qu’un contrôle systématique à la vente reste « la seule garantie » d’une traçabilité efficace.
Disparités régionales et rôle des revendeurs
Le rapport interne consulté précise que Kinkala et Djambala affichent un respect complet de la procédure. À l’inverse, la capitale Brazzaville, l’axe Pointe-Noire–Dolisie et plusieurs centres ruraux ne vérifient presque jamais la carte d’identité de l’acheteur au moment de l’activation.
Dans les rues de Ouesso ou de Nkayi, il suffit souvent d’un billet de cinq mille francs pour repartir avec une SIM déjà prête à l’emploi. Ces pratiques rapides séduisent les clients pressés, mais elles affaiblissent la chaîne de responsabilité imposée par la loi.
Les revendeurs indépendants, rémunérés à la commission, expliquent qu’ils « répondent à la demande » et qu’un contrôle rigoureux ralentirait les ventes. Cependant, l’ARPCE rappelle que l’obligation d’identification s’applique à chaque maillon, sous peine de pénalités financières et administratives.
Sécurité nationale et économie numérique menacées
Commercialiser des numéros anonymes ouvre la porte aux fraudes bancaires, aux faux transferts mobile money et aux campagnes de désinformation. L’autorité régulatrice insiste sur la dimension sécuritaire, évoquant des risques d’extorsion ou de cybercriminalité qui pourraient fragiliser l’écosystème économique congolais.
Un consultant en cybersécurité basé à Pointe-Noire observe que « l’absence de traçabilité diminue la confiance des investisseurs étrangers dans le secteur ». Selon lui, la filière télécoms, génératrice de milliers d’emplois, doit prouver qu’elle peut protéger les données et l’identité des abonnés.
Au-delà du volet sécurité, l’identification soutient la lutte contre l’évasion fiscale : chaque numéro associé à un individu facilite le suivi des transactions et la collecte des taxes sur les services mobiles, rappelle le ministère des Finances, partenaire du régulateur sur ce chantier.
Un ultimatum ferme et daté
Devant les représentants des deux opérateurs nationaux, le directeur général Louis Marc Sakala a annoncé une mise en demeure de soixante jours. D’ici la mi-décembre, chaque acteur devra justifier d’un plan correctif, sous peine de suspensions d’activations et d’amendes progressives.
Le calendrier prévoit aussi une deuxième mission d’inspection avant la fin de l’année pour vérifier le pourcentage réel de cartes régularisées. Les équipes techniques de l’ARPCE recevront un accès direct aux bases de données des opérateurs afin de comparer les déclarations et la réalité réseau.
Interrogé après la session, M. Sakala a souligné « la volonté d’accompagner plutôt que de sanctionner », mais rappelle que le régulateur doit garantir la sécurité publique. Cette approche graduée laisse aux entreprises le temps d’intégrer les outils de vérification biométrique envisagés.
Les opérateurs revoient leurs pratiques
Au nom d’Airtel Congo et de MTN Congo, le directeur général d’Airtel, Djibril Tobe, a admis des « failles dans le suivi des revendeurs ». Il annonce la création immédiate d’équipes mobiles chargées de contrôler les points de vente et de résilier les contrats défaillants.
Les deux sociétés projettent également d’intégrer un système d’enregistrement photographique à chaque nouvelle souscription. Une fois la photo et la pièce d’identité scannées, l’activation ne sera possible qu’après validation par un serveur central, réduit ainsi le risque d’erreurs ou de contournements.
Pour soutenir cet investissement, les opérateurs sollicitent un appui technique de l’ARPCE, notamment sur le chiffrement des bases et la formation des agents. « L’objectif est de bâtir un modèle vertueux que le régulateur pourra ensuite présenter comme référence » résume Djibril Tobe.
Vers une identification universelle
À moyen terme, l’agence compte connecter la base d’abonnés au Registre national de la population, projet piloté par le ministère de l’Intérieur. La correspondance automatique des données civiques et des numéros téléphoniques permettra, à terme, de simplifier les démarches de l’usager.
Le marché congolais compte aujourd’hui près de six millions de cartes actives. Si la régularisation atteint l’ensemble du parc, la manne de données structurées pourrait nourrir le développement de services d’identité numérique, de mobile banking sécurisé et d’applications gouvernementales dématérialisées.
Le compte à rebours est lancé : dans quelques semaines, les premiers résultats diront si le Congo-Brazzaville parvient à relever ce défi majeur sans ralentir la connectivité. Entre impératif de sûreté et ambition numérique, opérateurs et régulateur semblent, cette fois, avancer ensemble.
