La tension énergétique scrutée par le Parlement
Rarement un échange en séance de questions orales à l’Assemblée nationale n’aura concentré autant d’attention. Dans un hémicycle empreint de gravité, le ministre des Hydrocarbures, Bruno Jean Richard Itoua, a dressé un état des lieux lucide de la pénurie qui, plusieurs semaines durant, a perturbé la mobilité des personnes et fragilisé le tissu productif. En rappelant que la Congolaise de raffinage (Coraf) ne couvre qu’environ 60 % de la demande domestique, le membre du gouvernement a replacé la crise dans son contexte structurel : une dépendance résiduelle mais significative aux importations, accentuée par la volatilité des marchés internationaux.
Un rééquilibrage d’urgence de la chaîne d’approvisionnement
Dès l’alerte donnée, la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) a procédé à une reprogrammation logistique inédite. Selon les chiffres présentés, le planning d’importation massive garantit désormais 105 jours d’autonomie pour le super et 70 jours pour le gasoil, en sus de la production courante de la Coraf. Deux cargaisons supplémentaires sont annoncées avant le 10 juillet, matérialisant ce que le ministre qualifie de « retour progressif à l’équilibre » (Agence congolaise d’information, 4 juillet 2023). Les files d’attente se résorbent lentement, signe que le correctif conjoncturel infuse déjà le réseau de distribution.
Vers un renforcement logistique pérenne
Le gouvernement ne s’est toutefois pas contenté d’une réponse à court terme. Une opération coup de poing, mobilisant à la fois importations et montée en puissance de la raffinerie, s’accompagne de la réactivation de capacités de stockage dormantes afin de constituer des réserves stratégiques équivalant à deux mois de consommation. Parallèlement, l’amélioration des performances du Chemin de fer Congo-Océan, maillon essentiel du transport de produits pétroliers vers l’hinterland, vise à fluidifier l’écoulement des volumes supplémentaires.
À moyen terme, la diplomatie énergétique entre en scène avec le projet d’oléoduc Pointe-Noire-Brazzaville, fruit d’un partenariat avec la Fédération de Russie. Trois dépôts de 300 000 m³, soit le triple des capacités actuelles, devraient sécuriser l’axe littoral-capitale et réduire la dépendance au transport routier soumis aux aléas climatiques. Les négociations techniques, apprend-on, entrent dans leur phase d’ingénierie détaillée, preuve d’une volonté tangible de diversification des corridors d’acheminement.
Les équilibres macroéconomiques à l’épreuve
Reste l’équation financière. Le déficit structurel de la branche aval, généré par un prix de cession inférieur au coût réel du carburant, pèse sur le budget de l’État. La mission d’assistance technique du Fonds monétaire international a proposé la dérégulation des prix, mesure qui renverrait le plein coût au consommateur et allégerait la charge publique. « Cette option n’a pour l’heure reçu ni l’assentiment du chef de l’État ni celui du gouvernement », a précisé Bruno Jean Richard Itoua, soucieux d’éviter un choc social dans un contexte mondial d’inflation.
À la place, Brazzaville privilégie une approche graduelle : élaboration d’un modèle économique de pilotage de l’aval pétrolier, meilleure traçabilité des subventions et lutte contre les « antivaleurs » qui gangrènent certains circuits parallèles. Les régulateurs entendent ainsi préserver à la fois la soutenabilité budgétaire et l’accessibilité pour les ménages les plus vulnérables, fidèle à l’engagement présidentiel de solidarité nationale.
Diplomatie énergétique et partenariats diversifiés
L’enjeu déborde les frontières nationales. Au moment où les marchés africains reconfigurent leurs flux d’importation, le Congo-Brazzaville s’emploie à positionner ses infrastructures comme plateformes régionales. De sources proches du ministère, des discussions sont avancées avec des opérateurs d’Afrique australe pour l’utilisation concertée des nouveaux dépôts, tandis que des groupes asiatiques manifesteraient un intérêt pour la modernisation de la Coraf.
Cette ouverture contrôlée s’inscrit dans la logique d’une diplomatie économique proactive prônée par le président Denis Sassou Nguesso : attirer des capitaux tout en conservant la souveraineté sur les actifs stratégiques. Plusieurs ambassadeurs en poste à Brazzaville confient, sous couvert d’anonymat, que la gestion de la pénurie a, paradoxalement, rehaussé la crédibilité du pays dans la conduite de crises logistiques, un atout non négligeable dans la compétition pour les financements verts et les partenariats Sud-Sud.
Une trajectoire de résilience inclusive
Au-delà de l’actualité immédiate, la séquence rappelle l’impératif de résilience des chaînes d’approvisionnement en période de tensions géopolitiques mondiales. Le Congo, forte de son expérience d’exportateur de brut, se voit désormais sommé de parachever l’intégration de son aval. Gouvernance, transparence tarifaire, transition énergétique : autant de chantiers qui, conjugués à une diplomatie dispatchée entre partenaires historiques et nouveaux alliés, pourraient installer durablement le pays dans une économie d’hydrocarbures stabilisée et, à terme, diversifiée.
Rassurant les députés, Bruno Jean Richard Itoua conclut que « la feuille de route est claire : sécuriser l’approvisionnement, optimiser la filière et protéger le pouvoir d’achat ». Une promesse en forme de contrat social dont la mise en œuvre sera scrutée, mais qui témoigne d’une volonté politique affirmée de transformer une crise en accélérateur de modernisation.