Une initiative culturelle soutenue par la finance solidaire
En annonçant la troisième édition de sa Caravane Théâtrale, la Fondation Banque Populaire (FBP), épaulée par Attawfiq Microfinance, renoue avec une tradition marocaine consistant à porter la culture hors des centres urbains. L’édition 2025, qui s’étendra du 30 juin au 10 juillet, se veut plus ambitieuse encore : dix communes de l’Oriental accueilleront la pièce « Sarah Masjounak », interprétée par la troupe Théâtre Tensift. Au-delà de l’exercice artistique, l’opération s’inscrit dans une logique de responsabilité sociétale d’entreprise qui assume une mission de diplomatie culturelle interne, à la croisée des objectifs de développement durable et de la promotion de l’image institutionnelle du groupe Banque Centrale Populaire.
La géographie de l’Oriental, un terrain d’expérimentation culturelle
Choisir l’Oriental n’est pas anodin. Cette vaste région frontalière, à la démographie éclatée entre côtes, plateau et hautes plaines, demeure marquée par de grandes disparités en matière d’accès aux infrastructures culturelles. Les autorités locales ont multiplié les chantiers d’équipement, mais le maillage territorial reste fragile. Dans ce contexte, l’arrivée d’une caravane théâtrale prête à jouer gratuitement à Driouch, Jerada ou Ain Béni Mathar porte un message politique clair : aucun territoire n’est condamné à la marginalisation symbolique. Alors que le Royaume s’emploie à réduire les écarts de développement entre métropoles et provinces, l’effort de la FBP s’apparente à une diplomatie domestique visant à renforcer le contrat social par la culture.
Le théâtre comme instrument de cohésion sociale et de diplomatie interne
Dans les villages ciblés, la représentation théâtrale devient événement fédérateur. Elle constitue un moment où l’espace public se réinvente, rompant la routine socioéconomique dominée par l’agriculture ou l’artisanat. L’expérience d’édition précédente a montré que les familles se déplacent en nombre, entraînant des discussions intergénérationnelles rarement observées lors d’autres manifestations. Le thème de « Sarah Masjounak », tragédie contemporaine sur la place des femmes et la résilience communautaire, résonne particulièrement dans des localités où le cadre traditionnel reste prégnant, mais où les attentes de la jeunesse évoluent rapidement. La FBP cherche ainsi à utiliser le dialogue dramatique comme vecteur d’appropriation des valeurs d’ouverture et d’esprit critique, deux prérequis à l’édification d’un tissu social robuste.
Synapse entre microfinance et création artistique
Attawfiq Microfinance n’est pas un partenaire cosmétique. Son ancrage auprès de plus de 460 000 bénéficiaires actifs lui confère une compréhension fine des dynamiques locales (Attawfiq, 2024). En associant ses réseaux à la tournée, l’institution intensifie son approche dite « beyond banking » : le microcrédit s’enrichit d’une dimension culturelle qui consolide la capacité des communautés à se projeter dans l’avenir. L’absorption de contenus artistiques stimule l’imaginaire entrepreneurial, parfois limité par le simple accès aux liquidités. Des animateurs d’Attawfiq profiteront d’ailleurs des pauses techniques pour dialoguer avec les spectateurs sur les dispositifs de financement existants, créant une boucle vertueuse entre émancipation artistique et inclusion économique.
Perspectives pour les partenariats public-privé culturels
L’initiative rappelle que la diplomatie culturelle n’est pas le monopole des États. Le secteur privé, lorsqu’il se dote d’outils philanthropiques crédibles, peut jouer un rôle de premier plan dans l’irrigation culturelle des territoires. Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication suive de près ces expériences afin de calibrer de futures synergies entre opérateurs bancaires, collectivités et associations d’artistes. À l’heure où le Maroc discute de nouveaux modèles de financement du Fonds d’appui à la production culturelle, l’exemple de la FBP pourrait servir de matrice, à condition qu’il reste centré sur l’intérêt général et non sur la simple valorisation de marque. Les diplomates accrédités à Rabat mesurent également que ces actions contribuent, par capillarité, à la réputation internationale du Royaume, en démontrant sa capacité à concilier développement, cohésion sociale et créativité artistique.
Entre soft-power local et stimulation économique
Si la Caravane Théâtrale s’adresse d’abord aux habitants, son impact n’exclut pas la dimension économique. Les petites échoppes, les taxis collectifs et les hébergements profitent d’un micro-afflux de visiteurs venus des douars voisins. Cette effervescence temporaire préfigure l’intérêt de festivals itinérants modestes, capables de générer des revenus indirects tout en renforçant l’attractivité de communes qui peinent à retenir leurs jeunes. En filigrane, c’est une forme de soft-power local qui se déploie : le théâtre comme argument pour rester, investir, ou simplement croire que l’espace vécu peut aussi être un espace rêvé. C’est là, sans doute, la promesse la plus durable qu’esquisse la Fondation Banque Populaire en faisant résonner les planches au cœur des paysages semi-arides de l’Oriental.