Caracas, carrefour de la contre-narrative
Le Teatro Teresa Carreño, écrin de la culture vénézuélienne, s’est mué le week-end dernier en agora mondiale autour du thème « Les voies du nouveau monde ». Plus de cent vingt journalistes issus d’une cinquantaine de pays y ont répondu à l’invitation du ministère vénézuélien des Affaires étrangères, soucieux de fédérer les plumes et les caméras du Sud global face à ce qu’il qualifie de « blocus médiatique ». Cette démarche, portée par le chef de la diplomatie Yván Eduardo Gil Pinto, vise à articuler une riposte intellectuelle aux déséquilibres informationnels persistants, au moment où la planète s’interroge sur la place réelle des États émergents dans les chaînes de production de la vérité.
Dans un discours qui a donné le ton, le ministre a salué « la cordiale intrépidité » des délégations présentes, rappelant la tradition bolivarienne de Caracas : offrir un espace de libre parole aux luttes populaires. Sous les ors du théâtre, les applaudissements ont couvert l’évocation des figures d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro, présentées comme les garants d’une politique extérieure favorable à l’expression plurielle.
Une délégation congolaise entre écoute et plaidoyer
Parmi les journalistes africains invités, la présence d’un contingent venu du Congo-Brazzaville n’est pas passée inaperçue. « Nous sommes ici pour échanger des pratiques professionnelles et faire entendre la voix d’un Congo qui innove », confiait, en marge des travaux, une reporter brazzavilloise de la presse privée. Les rencontres bilatérales organisées en coulisse ont permis d’aborder la coopération audiovisuelle, sujet suivi de près par le ministère congolais de la Communication et des Médias, lequel voit dans ces synergies Sud-Sud un levier de montée en compétence des rédactions nationales.
Au-delà des échanges techniques, les professionnels congolais se sont fait l’écho des efforts gouvernementaux en faveur de la diversification des partenariats internationaux. Cette ouverture, jugée compatible avec la diplomatie de paix prônée par le président Denis Sassou N’Guesso, s’inscrit dans la continuité du plaidoyer de Brazzaville pour une gouvernance mondiale plus inclusive, notamment au Conseil de sécurité des Nations unies où le Congo siège comme observateur actif.
La question palestinienne comme révélateur global
À Caracas, la centrale thématique est rapidement apparue : la Palestine, « cause de l’humanité », selon Yván Gil Pinto. Une minute de silence a précédé la lecture d’un poème dédié au peuple palestinien, rappelant que la guerre, au-delà des ruines visibles, se gagne ou se perd d’abord sur le terrain symbolique. Les orateurs ont souligné le rôle des agences de presse du Sud dans la diffusion d’images alternatives aux narrations dominantes. En écho, la journaliste iranienne Sahar Emami a salué « la solidarité concrète de Caracas durant les jours sombres ».
Cette articulation entre responsabilité médiatique et défense des droits humains trouve des résonances à Brazzaville, où la société civile suit de près l’évolution du conflit. Des voix congolaises rappellent que la diplomatie de dialogue défendue à Oyo comme à New York suppose une information équilibrée, susceptible de désamorcer les amalgames confessionnels et de favoriser la coexistence pacifique.
Vers un réseau transcontinental d’information solidaire
Au fil des ateliers, le concept de « bataille de narration » a été décliné par Gustavo Villapol, qui appelle à substituer aux « balles » les « accolades » des rédacteurs. La Mexicaine Memé Yamel a insisté sur la distinction fondamentale entre informateurs et influenceurs, tandis que le Brésilien Alexandra Barbosa reprenait l’aphorisme russe selon lequel « la force est dans la vérité ». Ces échanges ont débouché sur la proposition d’une plateforme numérique partagée, destinée à mutualiser ressources audiovisuelles, grilles de vérification factuelle et formations en ligne.
Pour les partenaires africains, cette perspective fait écho au projet d’Observatoire panafricain des médias, porté par plusieurs capitales dont Brazzaville. L’ambition : renforcer la souveraineté informationnelle du continent, favoriser la circulation des contenus endogènes et promouvoir un journalisme de solutions ancré dans les réalités locales.
Quels bénéfices pour la jeunesse congolaise ?
Si la réunion de Caracas se veut globale, son impact se mesurera sur le terrain. Dans les écoles de journalisme de Brazzaville et de Pointe-Noire, les étudiants interrogés voient dans ce genre de forum « une opportunité d’accès direct à des mentors internationaux, sans passer par les filtres traditionnels du Nord ». Certains y lisent la promesse d’une mobilité accrue, d’autres la possibilité de stages croisés au sein de rédactions latino-américaines.
Le ministère congolais de la Jeunesse observe, de son côté, que ces dynamiques encouragent l’entrepreneuriat numérique : création de web-télévisions, de podcasts multilingues et de start-up spécialisées dans la vérification des faits. Autant de perspectives alignées sur les objectifs du Plan national de développement 2022-2026, qui fait de l’économie de la connaissance un pilier de la diversification nationale.
En définitive, Caracas a offert plus qu’un micro : un miroir dans lequel les journalistes congolais peuvent examiner leurs pratiques, leurs récits et leur rôle dans le concert des nations. Reste à transformer l’essai, en tissant des collaborations concrètes et pérennes qui donneront, à Brazzaville comme à Caracas, la mesure d’un « nouveau monde » déjà en marche.