Un partenariat né de la realpolitik sud-africaine
Au lendemain des élections générales marquées par une érosion historique de la majorité absolue de l’African National Congress, Pretoria a opté pour une alliance de circonstance avec la Democratic Alliance, jusque-là principal parti d’opposition. L’accord, scellé en juillet et aussitôt qualifié de « coalition de stabilité » par la présidence, visait à rassurer les milieux d’affaires inquiets et à maintenir le cap des réformes macroéconomiques promises par le chef de l’État. Les observateurs, cependant, notaient déjà la fragilité d’un attelage réunissant deux formations aux cultures politiques diamétralement opposées : d’un côté, l’ANC, héritier historique de la lutte anti-apartheid ; de l’autre, la DA, porte-voix d’un libéralisme assumé et ardent défenseur des mécanismes de contrôle parlementaire.
Une éviction controversée au parfum de brouille
C’est dans ce contexte ténu que le président Cyril Ramaphosa a signé, le 14 octobre, le décret révoquant Refiloe Whitfield, vice-ministre de la Police issu des rangs de la DA. Officiellement, la haute fonctionnaire aurait entrepris un déplacement à Washington « sans l’aval préalable du Cabinet », en marge d’un forum sur la sécurité urbaine organisé par la Brookings Institution. La présidence invoque une violation du Code exécutif obligeant chaque membre du gouvernement à faire viser tout déplacement à l’étranger par le chef de l’État.
Du côté de la DA, la version diffère. Son chef de file John Steenhuisen dénonce « une manœuvre de représailles » après que Whitfield, réputée pugnace, a exigé la réouverture de plusieurs dossiers de corruption au sein des forces de sécurité. Selon des sources internes au parti (Daily Maverick), la vice-ministre préparait un rapport critique sur l’allocation des marchés publics dans le secteur de l’armement, sujet jugé ultrasensible à l’Union Buildings.
Les conséquences institutionnelles pour Pretoria
Sur le plan institutionnel, la révocation de Whitfield place la coalition dans une zone grise juridique. L’accord ANC-DA prévoit en effet un mécanisme de consultation mutuelle avant toute nomination ou destitution relevant des portefeuilles dévolus à chaque partenaire. En rompant unilatéralement ce principe, Ramaphosa prend le risque de voir la DA se retirer de plusieurs comités interministériels stratégiques, à commencer par celui chargé de la réforme de la gouvernance locale déjà minée par les délestages électriques récurrents.
Pour la présidence, le pari consiste à démontrer l’autorité intacte du chef de l’État sur l’exécutif, condition indispensable pour consolider la crédibilité sud-africaine auprès des marchés internationaux, particulièrement depuis la revue à la baisse, par Fitch, de la perspective de la dette souveraine (Mail & Guardian).
Réactions nationales et internationales mesurées
Au Parlement du Cap, l’Economic Freedom Fighters a salué une « première fissure » dans ce qu’il qualifie de « grand compromis néolibéral ». Les milieux patronaux, représentés par Business Unity South Africa, ont exprimé une inquiétude tempérée, estimant que « la stabilité prime sur la procédure », tout en pressant l’exécutif d’éviter « tout spectacle de crise permanente ».
Sur le plan diplomatique, Washington s’est contenté de rappeler « la valeur des partenariats transparents avec Pretoria », alors que Bruxelles soulignait « l’importance du dialogue constructif entre parties prenantes ». Aucun partenaire du BRICS n’a, pour l’heure, pris position publiquement, signe que le dossier demeure perçu comme une affaire strictement domestique.
Scénarios prospectifs pour la coalition
Trois variables guideront, dans les mois à venir, la trajectoire de ce gouvernement de coalition. Premièrement, la DA doit décider si elle convertit son mécontentement en retrait formel de l’accord ou si elle opte pour une stratégie de « restauration interne » visant à renégocier les clauses de concertation. Deuxièmement, l’ANC, confronté à un climat social lesté par un taux de chômage de 32 %, devra choisir entre fermeté et concession pour préserver l’image de cohésion que réclament les investisseurs. Troisièmement, la société civile, galvanisée par les récents succès judiciaires contre la corruption, pourrait faire pression pour qu’un cadre légal encadre plus strictement les pouvoirs présidentiels en matière de nominations.
Pour Cyril Ramaphosa, comptable d’un agenda de réformes énergétiques et industrielles ambitieux, l’enjeu dépassera la simple arithmétique parlementaire : il s’agit désormais de prouver qu’une gouvernance de coalition, inédite depuis 1994, peut se muer en laboratoire de modernisation démocratique plutôt qu’en champ clos d’antagonismes partisans.