Conversion de dette : un instrument géopolitique
Lorsque Brazzaville et Paris paraphaient en 2010 le premier Contrat de désendettement et de développement, l’accord s’inscrivait déjà dans une logique dépassant la simple arithmétique budgétaire. Le mécanisme, né des engagements français en faveur du développement, permettait de transformer des créances souveraines en financements directs pour des infrastructures et des programmes sociaux. Quinze ans plus tard, l’intégralité de l’enveloppe convenue – 229 millions d’euros, soit 150,2 milliards de francs CFA – est juridiquement engagée, attestant d’une relation bilatérale qui, sans occulter les aléas macroéconomiques, s’est ancrée dans une rationalité de partenariat gagnant-gagnant.
Trois secteurs stratégiques, une matrice concertée
En amont, le Comité d’orientation et de suivi avait retenu trois axes : infrastructures, capital humain, environnement-agriculture. Cette ventilation résonne avec les priorités nationales définies dans le Plan national de développement 2022-2026 et épouse la doctrine française de l’aide ciblée. À titre d’illustration, la corniche de Brazzaville, vitrine urbaine qui requalifie les berges du fleuve Congo, symbolise la synergie entre exigence esthétique, mobilité urbaine et attractivité touristique. Sur un autre front, le projet Paysage forestier Nord-Congo expérimente des modèles de gestion durable, conciliant développement communautaire et conservation, dans un contexte où les bassins forestiers d’Afrique centrale représentent l’un des poumons climatiques planétaires.
Bilan d’exécution : réussites et frictions budgétaires
Selon le ministère congolais des Finances, cinq programmes sont déjà parvenus à leur terme, tandis que sept autres poursuivent leur déploiement. Deux dossiers – la modernisation de l’enseignement supérieur et la rénovation hydraulique du CHU de Brazzaville – requièrent encore l’achèvement de marchés complémentaires. « La dette convertie ne doit jamais être perçue comme un simple effacement, mais comme un investissement collectif », a déclaré Christian Yoka lors de la huitième session du Cos, remerciant la partie française pour sa “constance pragmatique”.
Cette constance est néanmoins mise à l’épreuve par la flambée internationale du coût des matériaux. L’ambassadrice Claire Bodonyi a reconnu que certaines dotations initiales se révèlent aujourd’hui sous-dimensionnées, ouvrant la voie à un exercice périlleux de calibrage financier. Des discussions sont engagées avec l’Agence française de développement et la Banque européenne d’investissement afin de sécuriser des rallonges ciblées, gage de continuité opérationnelle.
Corniche et centres d’éducation : vitrines du partenariat
Dans l’immédiat, deux réalisations-phares nourrissent la perception populaire du C2d. La corniche, longue de plusieurs kilomètres, a transformé un linéaire jadis enclavé en esplanade contemporaine. Les organisations de la société civile saluent une “reconquête citoyenne” de l’espace public, relevée par la dimension symbolique du fleuve qui unit la capitale à ses voisins régionaux. Parallèlement, l’appui au réseau des centres d’éducation a permis d’augmenter le taux de scolarisation dans certaines zones périurbaines de 12 points en cinq ans, selon les estimations croisées du ministère de l’Éducation et de l’Unicef.
Ces externalités positives confortent le gouvernement dans son plaidoyer pour la reconduction du dispositif. Les diplomates européens, quant à eux, y voient une preuve que la rationalisation de la dette, lorsqu’elle s’adosse à des indicateurs mesurables, contribue à stabiliser les environnements politiques et à prévenir les migrations contraintes.
Environnement et agriculture : cap sur 2029
Les portefeuilles Mossala, Telema, Gestion des inondations et Assainissement de Pointe-Noire sont programmés pour clôture en 2029. Là encore, l’enjeu n’est pas uniquement d’ordre technique. Il s’agit de bâtir des approches de résilience climatique susceptibles d’absorber les épisodes d’extrêmes pluies qui affectent le littoral atlantique. Les ingénieurs locaux travaillent de concert avec des bureaux d’études français et sud-africains afin d’adapter les standards internationaux aux contraintes géotechniques congolaises.
Dans le domaine agricole, l’objectif est double : sécuriser les revenus ruraux et réduire la facture d’importations alimentaires. Le projet de relance du secteur mise sur des chaînes de valeur cacao-café et manioc modernisées, assorties d’un volet formation à l’agro-écologie. Les premiers résultats, communiqués en session plénière du Cos, indiquent une hausse de 18 % de la production de manioc dans la Cuvette-Ouest, démontrant la pertinence de la démarche.
Gouvernance et entretien : le défi de la pérennité
Au-delà de la disponibilité des fonds, le Comité a insisté sur la nécessité de garantir, dans les budgets nationaux ordinaires, une ligne d’entretien pour les ouvrages livrés. L’expérience africaine montre que le cycle de vie d’une route ou d’un établissement scolaire dépend moins de la qualité initiale de la construction que de la récurrence des opérations de maintenance. La Banque des États de l’Afrique centrale, dépositaire du Compte C2d, a donc été invitée à renforcer les mécanismes de suivi, afin que les ministères techniques inscrivent ces dépenses dans leurs planifications triennales.
Les représentants de la société civile ont demandé, en retour, plus de transparence sur l’allocation des économies réalisées grâce à la conversion de dette. Ils souhaitent que ces ressources apurées soient réinjectées dans la santé primaire et la formation professionnelle, considérées comme des secteurs à effet de levier immédiat.
Une coopération appelée à se réinventer
Les débats tenus à l’hôtel Radisson Blu laissent entrevoir un consensus : la réussite du C2d version 2010-2029 ne doit pas conduire à une simple reproduction mécanique du dispositif. L’Union européenne, présente sous l’étiquette “Équipe Europe”, plaide pour une mutualisation plus poussée entre partenaires techniques afin de réduire les frais de transaction et d’unifier les procédures d’appel d’offres. Pour sa part, la partie congolaise envisage d’élargir la palette des secteurs éligibles à la transition numérique, estimant que la connectivité constitue le prochain vecteur de compétitivité régionale.
En filigrane, le dispositif renforce le positionnement international de Brazzaville, qui se présente comme un interlocuteur fiable, capable d’orienter la coopération financière vers des projets inclusifs. Cette crédibilité, consolidée par des taux d’exécution supérieurs à la moyenne continentale, pourrait faciliter l’accès à d’autres guichets concessionnels, notamment auprès de la Banque mondiale ou de la Banque africaine de développement.
Perspectives : de la dette à l’investissement souverain
À l’heure où plusieurs pays émergents plaident pour des restructurations novatrices, le modèle C2d du Congo revêt une signification particulière. Il démontre que le dialogue bilatéral, s’il s’accompagne d’un pilotage rigoureux, peut convertir un passif historique en capital productif. Pour les diplomates présents dans la capitale congolaise, l’enjeu est désormais de franchir un palier, en orientant de futurs flux non plus seulement vers la réhabilitation, mais vers l’innovation et la montée en gamme industrielle.
La prochaine réunion du Cos, prévue au premier semestre 2026, devra donc fixer une feuille de route claire, articulant besoins additionnels, mécanismes de cofinancement et indicateurs d’impact mieux harmonisés. En attendant, les chantiers avancent, marquant le paysage brazzavillois et provincial d’ouvrages qui témoignent d’une coopération où la dette, jadis synonyme de contrainte, s’affirme comme une matrice d’opportunités.