Un emballement viral révélateur de la fragilité informationnelle
La séquence, courte et ostensiblement triomphale, a envahi les réseaux sociaux au début de l’année 2025 : dans un décor aux couleurs saturées, un visage ressemblant au capitaine Ibrahim Traoré annonce que le Burkina Faso devient la première nation africaine « sans impôts ». L’effet est immédiat : partages exponentiels, éditoriaux indignés depuis certaines capitales européennes, applaudissements numériques de sympathisants panafricanistes. Pourtant, aucun décret, aucune allocution officielle, aucune publication du Journal officiel ne vient corroborer la prétendue abolition généralisée de la fiscalité. L’analyse du fichier vidéo révèle des raccords labiaux approximatifs, un timbre sonore artificiellement modulé et un arrière-plan généré par algorithme, indices classiques d’un deepfake. Ainsi, la viralité de la séquence en dit autant sur la sophistication croissante des outils de manipulation que sur la perméabilité du débat public sahélien à la désinformation.
La loi de finances 2025 : élargissement de l’assiette plutôt qu’abolition
Au même moment, loin des chambres d’écho numériques, l’Assemblée législative de transition adoptait, fin décembre 2024, une loi de finances marquée par l’élargissement de l’assiette fiscale. Le texte, entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2025, introduit des retenues à la source modulées – 2 % pour les prestations pédagogiques ou manuelles, 5 % pour les organismes publics et 10 % pour les travaux intellectuels ponctuels – et applique une TVA de 18 % aux transactions réalisées via les plateformes de commerce électronique. Le tourisme domestique bénéficie, lui, d’un taux réduit de 10 %. Ces mesures, loin d’une “révolution libertaire”, traduisent plutôt la volonté du gouvernement de transition de sécuriser des recettes récurrentes pour financer prioritairement la lutte contre l’insurrection djihadiste et la restauration des services sociaux de base.
L’argument néocolonial : entre rhétorique politique et quête de légitimité
Depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2022, Ibrahim Traoré mise sur un discours souverainiste qui résonne puissamment dans une région éprouvée par les interventions étrangères. En dénonçant le prétendu « impôt colonial » et en célébrant les richesses minières nationales – or, manganèse, uranium – l’exécutif nourrit une dialectique d’autonomie économique. Toutefois, si la dénonciation de contrats miniers jugés léonins fait consensus au sein d’une opinion en quête d’équité, l’idée d’une suppression totale des prélèvements obligatoires se heurte à la réalité budgétaire. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest estime en effet que les recettes fiscales de Ouagadougou couvraient à peine 60 % des dépenses courantes en 2023. Autrement dit, l’État burkinabè reste dépendant de sa capacité à mobiliser l’impôt, fût-il renégocié, pour honorer salaires, approvisionnements militaires et investissements dans la santé primaire.
Économie sahélienne : vulnérabilités structurelles et impératif de diversification
Le Burkina Faso concentre, en surface, l’un des sous-sols les plus riches du continent; paradoxalement, le secteur extractif ne représente qu’environ 13 % du PIB, la transformation locale demeurant embryonnaire. Dans un contexte d’insécurité croissante, la fermeture de corridors routiers a renchéri les coûts logistiques et fait chuter les exportations de coton, deuxième ressource historique du pays. La tentation d’alléger, voire de suspendre certains impôts indirects afin de soutenir les chaînes de valeur agricoles existe, mais elle n’a rien de commun avec une abolition totale. C’est donc dans un équilibre délicat – préserver l’attractivité des investissements tout en élargissant la base contributive – que s’inscrit la programmation budgétaire 2025-2027, validée conjointement par le ministère de l’Économie et le Fonds monétaire africain, structure régionale nouvellement créée.
Regards croisés des partenaires internationaux sur la gouvernance fiscale
Les chancelleries occidentales, promptes à commenter la supposée disparition des impôts, se sont rapidement rétractées après vérification des faits. À Bruxelles, un diplomate spécialiste du Sahel confie que « l’épisode témoigne surtout d’une guerre cognitive où la fiscalité devient un symbole de souveraineté ». Du côté de Moscou comme de Pékin, on souligne plutôt la capacité de Ouagadougou à “reprendre le contrôle” de sa politique budgétaire, tout en guettant d’éventuels contrats miniers. Quant aux institutions financières multilatérales, elles rappellent que la soutenabilité de la dette burkinabè dépendra moins de l’idéologie anti-impôt que de la robustesse de l’administration fiscale et de la transparence dans l’allocation des dépenses. En d’autres termes, l’enjeu réside moins dans la suppression des taxes que dans la réconciliation d’un peuple avec un prélèvement qu’il perçoit souvent comme inéquitable.
Vers une souveraineté fiscale éclairée plutôt qu’utopie sans impôt
Le démenti officiel, rapidement publié par le Service d’information du gouvernement, referme la parenthèse du Burkina Faso prétendument « tax-free ». Pour autant, l’épisode laisse une trace : il révèle la puissance des narratifs alternatifs dans un espace public où la confiance envers l’État reste fragile. La diplomatie burkinabè, qui s’emploie à diversifier ses partenariats au sein de l’Alliance des États du Sahel, sait désormais qu’elle devra déployer une pédagogie fiscale pointue pour légitimer tout prélèvement nouveau. Car la souveraineté ne se décrète pas par l’absence d’impôts ; elle s’affirme par la capacité d’un gouvernement à démontrer, factures à l’appui, que chaque franc collecté se matérialise en routes carrossables, en postes de santé approvisionnés et en classes sécurisées. Loin du spectacle des deepfakes, c’est sur ce terrain concret que se gagnera, ou se perdra, la bataille de la confiance.