La fièvre budgétaire en toile de fond d’un contexte mondial incertain
L’année 2025 voit plusieurs gouvernements africains adopter des prévisions de dépenses d’une ampleur inédite, alors que les effets résiduels de la pandémie se mêlent à des tensions géopolitiques persistantes. Au-delà de l’effet mécanique de la dépréciation monétaire observée dans nombre de capitales, cette inflation des enveloppes traduit aussi une intention politique : signifier aux bailleurs et aux opinions publiques que le continent ne souhaite plus demeurer cantonné au rôle de variable d’ajustement des crises exogènes. Les annonces concomitantes du Kenya, de la Tanzanie et de l’Ouganda, la semaine passée, ont illustré cette détermination à « protéger la trajectoire de croissance », selon la formule du secrétaire permanent ougandais au Trésor, Patrick Ocailap.
Entre volontarisme social et impératifs de stabilité macroéconomique
Dans la hiérarchie continentale, Pretoria conserve la première place avec un budget dépassant 141 milliards de dollars. Cette enveloppe, qui consacre plus du tiers aux transferts sociaux et à la santé, s’inscrit dans la volonté du gouvernement sud-africain de contenir une pauvreté endémique tout en rassurant les agences de notation. L’Algérie, forte de ses revenus hydrocarbures, talonne avec 126 milliards de dollars et met résolument l’accent sur l’appareil sécuritaire et la transition énergétique, deux domaines jugés stratégiques par le président Abdelmadjid Tebboune pour consolider la « souveraineté nationale ».
L’éducation et la santé comme socle de crédibilité intérieure
L’Égypte, troisième de ce classement officieux, mobilise 91 milliards de dollars. Le Caire destine près de 26 % de ce total à l’enseignement et à la santé dans l’espoir de réduire les disparités territoriales tout en désamorçant une inflation sociale potentiellement déstabilisatrice. À Rabat, le budget de 73 milliards de dollars poursuit une logique comparable : le ministre marocain des Finances, Nadia Fettah, insiste sur « l’assurance maladie universelle » comme catalyseur de cohésion, enjeu d’autant plus crucial que le royaume entend renforcer sa stature de hub industriel régional.
La tentation infrastructuriste et la course aux mégaprojets
Chez les économies intermédiaires, l’Angola, le Nigeria et le Kenya affichent des montants respectifs de 37,8 milliards, 36,7 milliards et 32,65 milliards de dollars. Luanda, dépendante de l’or noir, consacre près de la moitié de ses crédits à la modernisation des réseaux routiers et portuaires afin de diversifier son appareil productif. Abuja, de son côté, mise sur la relance par les infrastructures ferroviaires et énergétiques, le président Bola Tinubu promettant « une transformation structurelle inédite ». Nairobi entend capitaliser sur son écosystème numérique en finançant massivement la connectivité rurale, pari audacieux dans un contexte d’endettement déjà supérieur à 70 % du PIB.
Sécurité et résilience institutionnelle dans les États à la trajectoire fragile
La Libye, pourtant affaiblie par un schisme politique persistant, réserve près de 26 milliards de dollars à son budget, dont une part substantielle à la reconstruction d’un appareil sécuritaire national fragmenté. La Côte d’Ivoire et la Tunisie ferment ce top 10 avec, respectivement, 25,22 milliards et 25,16 milliards de dollars. Abidjan concentre ses efforts sur la poursuite du Plan National de Développement alors que Tunis, sous la pression du FMI, tente d’alléger la masse salariale publique tout en préservant ses mécanismes de subvention. L’équilibre reste précaire, comme l’admet le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi, qui évoque « une course contre la montre pour maintenir la confiance des marchés ».
L’épreuve du service de la dette et le retour de la diplomatie budgétaire Sud-Sud
Si la hiérarchie des chiffres s’impose dans les tableaux, la soutenabilité demeure le juge de paix. Le service de la dette publique absorbe déjà plus de 40 % des revenus fiscaux au Nigeria et avoisine ce seuil au Kenya. À l’inverse, l’Afrique du Sud et l’Algérie bénéficient d’une plus grande latitude grâce à une profondeur de marché domestique ou à des recettes en devises. Ce différentiel nourrit une diplomatie budgétaire Sud-Sud où les plus solvables se posent en pourvoyeurs d’investissements intra-africains, à l’image du South Africa Infrastructure Fund récemment sollicité par Nairobi. Dans ce jeu d’influence, la Banque africaine de développement tente de jouer le rôle de chef d’orchestre afin d’éviter une fragmentation financière contre-productive.
Perspectives : entre affirmation souveraine et nécessité de convergences régionales
Au-delà du clinquant, ces budgets signalent un tournant. En affichant des montants comparables à ceux de certains pays émergents d’Asie, les capitales africaines entendent affirmer leur souveraineté économique et attirer des partenaires diversifiés, de Pékin à Riyad en passant par Bruxelles. Le pari reste toutefois soumis à la capacité de mise en œuvre et à la création effective de valeur productive. Comme le résume l’économiste kényan James Shikwati, « le continent ne manque pas d’argent, il manque d’absorption efficiente ». Entre injonction à la discipline macroéconomique et exigence légitime de développement, l’exercice budgétaire 2025 pourrait ainsi conditionner durablement la perception du risque africain sur les marchés mondiaux.