Une visite éclair aux allures de signal politique
Le 24 juin, les couloirs feutrés du bureau de l’Organisation mondiale de la santé à Brazzaville ont brièvement retrouvé l’effervescence des jours de sommet. Quelques heures durant, le Dr Chikwe Ihekweazu, directeur régional par intérim, a pris le pouls des équipes locales, marqué par des entrevues serrées avec les responsables des programmes prioritaires. Si l’agenda officiel évoquait un « examen du plan de travail 2024 », le geste revêtait une signification diplomatique plus large : rassurer un État partenaire mais aussi la communauté des bailleurs, inquiète de voir le bureau congolais au bord de l’asphyxie financière.
Un système de santé sous tension multidimensionnelle
Derrière la courtoisie des déclarations, chacun mesure l’ampleur des défis. Le Congo, déjà soumis à des flambées récurrentes de poliomyélite, de rougeole et de fièvre jaune, affronte désormais la montée silencieuse des maladies non transmissibles, de l’hypertension au diabète. Les cartes de couverture vaccinale laissent apparaître de profondes disparités entre les districts urbains du littoral, plutôt bien dotés, et l’arrière-pays forestier où routes, personnel qualifié et chaînes du froid font encore défaut (OMS, 2024). À cela s’ajoute une capacité de surveillance épidémiologique qui peine à suivre l’augmentation des alertes, dans une sous-région où les flux migratoires et le commerce informel favorisent une circulation rapide des pathogènes.
La contrainte budgétaire : talon d’Achille de la réponse sanitaire
« Nous avons dû renoncer à renouveler plusieurs contrats de terrain, faute de financements disponibles », a reconnu le Dr Ihekweazu devant ses collaborateurs. La phrase résonne comme un aveu de fragilité au cœur même de l’agence onusienne. Ces dernières années, la part des contributions volontaires fléchées vers la région a chuté, concurrencée par des urgences plus médiatisées au Proche-Orient ou en Europe de l’Est. À Brazzaville, cela se traduit par des équipes mobiles réduites, moins de formations continues et un recours croissant aux partenaires locaux, eux-mêmes limités par des budgets nationaux en contraction. Selon le ministère congolais des Finances, la dépense publique de santé est passée sous la barre des 5 % du budget en 2023, loin des 15 % recommandés par la déclaration d’Abuja.
La diplomatie sanitaire, levier d’influence régionale
Au-delà des fiches techniques, la visite du directeur régional s’inscrit dans une stratégie plus vaste de l’OMS : maintenir une forte visibilité dans un pays siège de son bureau continental, donc plaque tournante symbolique et logistique pour l’Afrique. Brazzaville, qui abrite depuis 1951 cette antenne stratégique, sert d’avant-poste pour coordonner les réponses à Ebola dans les Grands Lacs ou au paludisme dans le bassin du Congo. Pérenniser les capacités locales revient ainsi à préserver un pivot d’intervention rapide dans toute la sous-région. Dans les couloirs du ministère congolais de la Santé, un haut fonctionnaire confiait d’ailleurs : « La présence active de l’OMS ici est aussi un gage de stabilité politique, elle crédibilise nos plaidoyers auprès des bailleurs. »
Des pistes de résilience dans un contexte incertain
Pour rompre le cercle vicieux des financements courts et de l’urgence permanente, l’OMS propose désormais un accompagnement sur la planification pluriannuelle, l’optimisation du panier de soins primaires et la digitalisation des registres de santé. À moyen terme, l’agence veut mutualiser ses efforts avec la Banque africaine de développement et le Centre africain de contrôle des maladies afin de sécuriser des fonds dédiés à la formation du personnel et au maintien des laboratoires périphériques.
Reste la question sensible de la soutenabilité. Sans hausse significative des ressources domestiques, les réformes risquent de demeurer des prototypes. Le Dr Ihekweazu le reconnaît : « La résilience sanitaire n’est pas qu’une affaire de tableaux Excel, c’est d’abord un choix budgétaire souverain. » En d’autres termes, l’appui technique, si renforcé soit-il, ne remplacera pas un engagement financier national robuste. Pourtant, en misant sur la coopération et la transparence, Brazzaville et l’OMS espèrent convaincre qu’investir dans la santé publique demeure l’une des rares politiques capables d’aligner impératifs humanitaires, stabilité politique et performance économique.