Un rendez-vous continental sous haut patronage
Sous la coupole de marbre du Palais des congrès, les premières notes résonneront le 19 juillet 2025 pour inaugurer la douzième édition du Festival panafricain de musique. Placée sous le haut patronage du président Denis Sassou Nguesso, la cérémonie d’ouverture symbolise la continuité d’une ambition : faire de Brazzaville un hub culturel respecté, malgré la conjoncture économico-financière mondiale peu clémente. La persistance de l’événement, même redimensionné, témoigne d’une résilience institutionnelle et d’une volonté politique affirmée de préserver les socles de la diplomatie culturelle congolaise.
« Musique et enjeux économiques » : un thème stratégique
En choisissant pour fil rouge « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », le commissariat général invite artistes, décideurs publics et investisseurs privés à revisiter l’ensemble de la chaîne de valeur musicale. Gervais Hugues Ondaye a insisté, lors d’un échange avec la presse à l’Hôtel de ville, sur la nécessité de dépasser la célébration artistique pour aborder la monétisation des répertoires, la protection des droits d’auteur et la circulation transfrontalière des contenus en streaming. Dans une Afrique où l’économie numérique croît près de deux fois plus vite que l’économie traditionnelle, la question revêt un caractère stratégique tant pour les Trésors publics que pour les créateurs.
Un format réduit, mais une ambition intacte
Contraints par des impératifs budgétaires connus, les organisateurs ont opté pour un dispositif resserré. La programmation artistique se concentre sur douze pays, contre une vingtaine lors des dernières éditions. Trois scènes – le Palais des congrès, le terrain ASECNA à Mayanga et la ville nouvelle de Kintélé – accueilleront les concerts. Cette rationalisation, loin d’affaiblir l’événement, privilégie la qualité à la quantité et facilite une gestion logistique rigoureuse, gage de réussite dans le contexte actuel. Les artistes, pris en charge par leurs États, incarnent une diplomatie douce où les notes de kora dialoguent avec les pulsations électroniques venus de Moscou ou de Tunis.
Brazzaville, carrefour de la création numérique
Le virage digital constitue l’innovation cardinale du cru 2025. Plates-formes de diffusion en direct, applications mobiles dédiées et système d’accréditation biométrique modernisent l’expérience du public. Surtout, elles permettent à des spectateurs situés à Dakar, Abidjan ou Saint-Pétersbourg de suivre les concerts en streaming haute définition. Le commissaire général souligne que « l’économie mondiale se dématérialise » et qu’il devient urgent de sécuriser de nouveaux canaux de revenus. Cette approche résonne avec les orientations continentales de la Zone de libre-échange africaine, qui entend stimuler les industries culturelles de manière compétitive.
Masterclass et recherche : la connaissance au service des arts
Au-delà des projecteurs, le FESPAM convoque la réflexion académique. Quarante-quatre chercheurs, musicologues et sociologues, provenant notamment de l’Université Marien-Ngouabi, de Makerere et de la Sorbonne, se réuniront en symposium pour analyser l’impact du numérique sur les pratiques musicales. Les masterclass animées par des producteurs de renom doivent outiller la jeune génération congolaise en marketing digital, métadonnées et intelligence artificielle appliquée au mixage. La suppression du Marché de la musique africaine, décision budgétaire de circonstance, est compensée par ces espaces de transfert de compétences, jugés plus adaptés à l’urgence de la formation.
Une plateforme de diplomatie culturelle
Depuis 1996, le FESPAM est un vecteur privilégié de rayonnement pour Brazzaville, cité trois fois capitale de la culture africaine. En accueillant des délégations du Venezuela, de Russie et du Ghana, le Congo confirme une stratégie d’ouverture Sud-Sud et Est-Ouest qui complète sa politique traditionnelle de coopération francophone. Les ambassades mobilisent leurs réseaux, l’UNESCO suit avec attention les échanges sur la rumba congolaise inscrite au patrimoine immatériel mondial, tandis que les institutions financières régionales évaluent les retombées touristiques. Cette convergence illustre l’articulation fine entre soft power culturel et diversification économique prônée par les autorités.
Patriotisme artistique et consolidation de la rumba
À la veille de l’ouverture, Gervais Hugues Ondaye a invité les musiciens à conjuguer patriotisme et professionnalisme. L’appel vise à consolider la rumba, dont l’héritage traverse Kinshasa et Brazzaville, en l’ancrant dans une esthétique modernisée apte à séduire les algorithmes des plates-formes mondiales. Il s’agit d’amplifier la visibilité internationale du genre, tout en veillant à ce que les revenus générés reviennent équitablement aux créateurs locaux. La pérennité du FESPAM dépend précisément de cette capacité à mêler fierté identitaire et adaptation technologique.
Entre défis et opportunités : horizon 2026
La conclusion de l’édition 2025 ne marquera pas la fin des défis. L’amélioration du cadre légal sur la rémunération des droits voisins, la consolidation d’infrastructures numériques fiables et la création d’incubateurs créatifs figurent parmi les pistes évoquées par les participants. Les autorités congolaises, déjà engagées dans la modernisation des télécommunications, entendent capitaliser sur les recommandations du symposium pour affiner la feuille de route culturelle. Ainsi, Brazzaville espère faire du prochain FESPAM, prévu en 2027, une vitrine encore plus aboutie de la transformation numérique africaine.
Une partition optimiste pour le futur
À l’heure où les projecteurs s’apprêtent à s’allumer, le sentiment dominant est celui d’un optimisme mesuré. Certes, la prudence économique demeure, mais la capacité des organisateurs à maintenir le FESPAM, à l’adapter et à le mettre en résonance avec la révolution numérique conforte l’image d’un Congo tourné vers l’innovation, sans renier ses racines. Les musiciens, chercheurs et responsables politiques joueront, huit jours durant, une même partition : celle d’un continent qui veut transformer ses vibrations créatives en valeur ajoutée tangible. Brazzaville, une fois encore, se place au centre de cette modulation d’avenir.