Une solidarité Brazzaville-La Havane
Dans les jardins feutrés de la résidence diplomatique cubaine, une centaine de convives ont partagé chansons patriotiques et café serré. Entre drapeaux tricolores, Brazzaville et La Havane ont fait cause commune pour demander la levée de l’embargo, toujours décrié comme le plus long du monde contemporain.
Autour de l’ambassadrice Indira Nápoles Coello, médecins, ingénieurs et enseignants congolais formés à Cuba dans les années 1980-2000 ont rappelé leur « dette morale » envers l’île. Leur message, partagé en langues française, espagnole et lingala, se veut un plaidoyer au-delà des clivages idéologiques.
Contexte historique du blocus américain
Le blocus économique, commercial et financier fut décrété par Washington en 1962, dans le sillage de la crise des missiles. Soixante-deux ans plus tard, ses restrictions touchent toujours la quasi-totalité des secteurs : exportations, transferts bancaires, logiciels, pièces détachées, tourisme et même échanges académiques.
Depuis 1992, l’Assemblée générale des Nations unies vote chaque année une résolution non contraignante réclamant sa fin. L’édition 2023 a vu 187 États appuyer le texte, seuls les États-Unis et Israël maintenant leur opposition. Le Congo-Brazzaville a systématiquement soutenu la motion depuis trois décennies.
Anciennes promotions congolaises formées à Cuba
Aussi variés que leurs parcours, les souvenirs d’anciens boursiers congolais convergent. Beaucoup évoquent l’accès gratuit aux amphithéâtres de l’université de La Habana, la solidarité des familles d’accueil et la découverte d’une médecine préventive réputée. « Nous avons reçu sans compter, il faut maintenant donner voix », souffle un chirurgien.
Certains diplômés travaillent aujourd’hui dans les hôpitaux de Makélékélé ou les chantiers pétroliers de Pointe-Noire. Leur réseau, baptisé Association des anciens étudiants congolais de Cuba, recense près de 2 000 membres. Ils souhaitent lancer une campagne nationale d’information pour expliquer l’impact humanitaire du blocus.
Vue de l’ambassadrice Indira Nápoles Coello
« Chaque voix compte, surtout celles qui connaissent nos deux réalités », a insisté l’ambassadrice Nápoles Coello durant son allocution. Elle a salué l’engagement des autorités congolaises pour la coopération Sud-Sud, avant de rappeler que plus de 500 médecins cubains ont exercé en République du Congo depuis 1976.
La diplomate a ensuite mentionné l’enjeu de l’autosuffisance pharmaceutique cubaine, freinée par l’impossibilité d’acquérir certains réactifs d’origine américaine. Elle estime que l’embargo prive également d’autres pays, Congo inclus, d’éventuels transferts de technologie liés aux vaccins développés à La Havane.
Estimations économiques de La Havane
Le ministre cubain des Affaires étrangères, Bruno Rodríguez Parrilla, évalue à 4,8 milliards de dollars les pertes subies entre mars 2024 et février 2025. Pour l’île, ces chiffres dépassent la simple statistique : ils affectent l’achat de nourriture, de carburant et de pièces pour les centrales électriques.
À Brazzaville, ces données ont été projetées sur écran géant, accompagnées de graphiques simples pour le public. Les organisateurs veulent démontrer qu’un blocus instauré durant la guerre froide continue de produire des conséquences concrètes bien au-delà des débats géopolitiques de haute sphère.
La position diplomatique congolaise
Le Congo-Brazzaville affiche depuis plusieurs années une proximité affirmée avec les causes d’équité internationale, sans rompre ses liens traditionnels avec Washington. Un diplomate congolais présent à la rencontre rappelle que « Brazzaville mise sur le dialogue multilatéral et le respect du droit international pour résoudre les différends ».
Cette ligne, jugée constructive par La Havane, permet à la diplomatie congolaise d’appuyer la levée du blocus tout en cultivant un partenariat économique diversifié. Le pays importe déjà du matériel médical cubain et étudie de nouveaux programmes de coopération agricole orientés vers la production vivrière.
L’élan de la communauté cubaine au Congo
Du côté de la communauté cubaine installée au Congo, forte d’environ 300 personnes, la stratégie est d’associer culture et plaidoyer. Des soirées salsa, des projections de films et un festival de cuisine créole sont annoncés pour sensibiliser un public plus large à l’enjeu de l’embargo.
« Nous parlons de musique, mais surtout de dignité », témoigne Yanelis, professeure de danse résidant à Bacongo. Pour elle, chaque billet vendu à un spectacle est aussi un message politique pacifique. Les bénéfices iront à l’achat de fournitures scolaires pour des écoles défavorisées de la capitale.
Perspectives aux Nations unies
À New York, la prochaine résolution onusienne sera débattue début novembre. Les délégations africaine et caribéenne entendent maintenir une position commune. D’après une source diplomatique congolaise, la mission permanente du Congo rédigera une brève déclaration réaffirmant son soutien « à un dialogue constructif exempt de sanctions unilatérales ».
En attendant l’issue du vote, la résidence cubaine de Brazzaville promet d’ouvrir ses portes chaque dernier vendredi du mois pour des rencontres citoyennes. Les initiateurs espèrent que la mobilisation gagne les campus, les entreprises et les médias locaux, convaincus que la solidarité entre peuples reste un puissant levier diplomatique.
Regards d’experts congolais
Pour l’analyste économique Richard Massamba, l’initiative peut aussi renforcer le branding du Congo comme plateforme de médiation régionale. « Soutenir la fin du blocus n’est pas anti-américain, c’est pro-coopération », résume-t-il avec pragmatisme lucide.
