Une dynamique panafricaine de formation stratégique
La présence, à Brazzaville, d’une délégation de vingt-deux officiers et cadres supérieurs de l’Université de la défense nationale du Zimbabwe n’est pas un simple exercice protocolaire. Sous la conduite du général de brigade Francis Chakauya, cette mission s’inscrit dans la multiplication des échanges inter-académies que l’Union africaine encourage depuis la réforme de sa politique de défense de 2020. En privilégiant le Congo, État sans contentieux bilatéral avec Harare et acteur modéré des débats sécuritaires continentaux, les autorités zimbabwéennes recherchent un partenaire susceptible d’offrir un retour d’expérience opérationnel sans interférence politique majeure. L’Académie militaire Marien-Ngouabi – héritière d’une tradition formée aux standards soviétique puis français – propose en effet un modèle d’enseignement hybride apprécié par nombre d’États anglophones.
ACMIL et EGT, vitrines d’une industrialisation de la connaissance militaire
Accueillie par le colonel Lié Cyr Guy Logangué et le colonel-major Armand Pascal Mboumba, la délégation a découvert un campus dont l’organisation curriculaire n’a plus grand-chose à envier aux centres de défense européens. L’Académie et l’École de génie travaux partagent laboratoires, amphithéâtres et ateliers où l’on pratique depuis peu la fabrication additive de pièces détachées. Ce rapprochement entre doctrine, ingénierie et production répond à une logique d’industrialisation de la connaissance : former des officiers capables de gérer la totalité du cycle capacitaire, de la conception à la maintenance. À l’heure où la chaîne logistique internationale est mise à l’épreuve par les sanctions et par la fragmentation géopolitique, cette autonomie séduit les pays soumis à des régimes d’embargos partiels, Victoria Falls compris.
Simulateurs de pointe et autonomie capacitaire
Le clou de la visite fut sans conteste la salle de simulation interarmes. Devant des écrans à haute résolution reproduisant les reliefs fluviaux du Pool et les environnements semi-arides du Gwaai, le général Chakauya s’est déclaré « très impressionné par la capacité des Africains à se former eux-mêmes sur des équipements qu’ils produisent ou configurent » – un commentaire qui trahit l’objectif premier de la délégation : comprendre le modèle économique ayant permis au Congo d’acquérir puis d’entretenir ce matériel onéreux sans dépendre d’un bailleur unique. Harare, confronté à des restrictions financières internationales, envisage de s’inspirer de la formule brazzavilloise mêlant financement budgétaire, soutien logistique chinois et expertise sous-régionale.
Peacekeeping, domaines maritimes et horizon transcontinental
Les exposés présentés les 23 et 24 juin par les colonels Bellarmin Ndongui et Serge Loungui sur l’expérience congolaise en opérations de maintien de la paix ont mis en lumière la place qu’occupe désormais l’Afrique centrale dans les contingents de la MINUSCA ou de la MONUSCO. Pour le Zimbabwe, engagé au Soudan du Sud et toujours marqué par les souvenirs de l’intervention en République démocratique du Congo à la fin des années 1990, il s’agit de tirer profit des enseignements tirés des erreurs logistiques d’hier. Le ministre Eric Olivier Sébastien Dibas-Franck a, de son côté, exposé l’Action de l’État en mer, domaine où le Congo cherche à mutualiser la surveillance du golfe de Guinée. Cet échange maritime intéresse particulièrement Harare, enclavé mais dépendant du couloir Beira-Harare-Lusaka, dont la sécurisation passe par la stabilité littorale régionale.
Implications diplomatiques et projections régionales
Au-delà de la coopération technique, la rencontre revêt une valeur politique non négligeable. Brazzaville, en recevant un partenaire souvent isolé sur la scène occidentale, affiche sa capacité de médiation et renforce son image de « capitale du multilatéralisme discret ». Harare, de son côté, diversifie un portefeuille sécuritaire longtemps dominé par l’Afrique du Sud et la Russie. Selon un conseiller proche du chef d’état-major congolais, « cette démarche souligne que l’architecture africaine de paix et de sécurité n’est crédible que si chaque État accepte de partager ses bonnes pratiques sans arrière-pensées ». Derrière la formule, se dessine une stratégie d’influence où la diplomatie militaire supplée l’épuisement des outils classiques de la politique étrangère.
Au-delà des uniformes, l’étoffe d’une souveraineté partagée
Avant son départ pour Pointe-Noire et la zone militaire de défense n° 1, le général Chakauya a consigné quelques lignes dans le livre d’or, saluant « l’esprit de solidarité africaine qui se matérialise dans la salle de classe autant que sur le terrain ». Derrière la rhétorique fraternelle, la visite rappelle qu’une souveraineté défensive ne se décrète pas : elle se fabrique, se monnaie et se diplôme. En multipliant ces ponts académiques, le Congo et le Zimbabwe contribuent à une normalisation des échanges de haut niveau entre armées africaines, condition sine qua non pour que le continent réduise son exposition aux aléas des grands équilibres stratégiques globaux. Reste à savoir si cette effervescence intellectuelle se traduira, demain, par des programmes industriels conjoints capables de renforcer durablement la base technologique et logistique régionale. Le pari est lancé, et l’histoire retiendra peut-être que, dans un amphithéâtre de Brazzaville, une page discrète mais décisive de la géopolitique africaine s’est écrite.