Une capitale au cœur des mémoires africaines
Rares sont les métropoles africaines dont le nom convoque d’un même élan la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, la genèse des mouvements d’indépendance et les imaginaires littéraires. Brazzaville appartient à cette catégorie d’espaces symboliques, longtemps éclipsés par des récits géopolitiques plus tapageurs. À l’Espace Royal de Montreuil, une centaine de diplomates, entrepreneurs et acteurs culturels se sont rassemblés pour interroger la place de la ville dans la cartographie stratégique contemporaine. L’initiative, portée par la Maison de la mémoire africaine et appuyée par le corps consulaire de Normandie, signale la volonté de transformer « la nostalgie du souvenir en moteur de projection », selon les mots de son président, Marcellin Mounzeo-Ngoyo.
La mémoire comme instrument de soft power
Au cours de la soirée, l’argumentaire développé reposait sur un postulat clair : le capital mémoriel de Brazzaville constitue une ressource diplomatique encore sous-exploitée. Capitale de la France libre en 1940, lieu d’expérimentation des premières conférences panafricaines, la ville détient un récit susceptible d’alimenter un soft power africain structuré. « La mémoire n’est pas un refuge du passé, mais bien un levier de l’avenir », a martelé Mounzeo-Ngoyo, rappelant l’urgence de passer d’une rhétorique de commémoration à une stratégie de branding territorial. L’approche rejoint les travaux de la Commission de l’Union africaine sur la diaspora, qui préconise la mobilisation des sites historiques pour soutenir la diplomatie économique.
Brazzaville, pivot oublié de l’histoire mondiale
La présence d’Armand Rémy Balloud-Tawabé, premier conseiller de l’ambassade du Congo en France, a renforcé la dimension institutionnelle des échanges. Le diplomate a insisté sur la nécessité de « réinscrire Brazzaville dans les grandes narrations globales, à l’heure où l’Afrique centrale reste souvent perçue par le prisme sécuritaire ». Ce rappel historique a trouvé un écho particulier dans l’intervention de Jean-Philippe Carpentier, président du Corps consulaire de Normandie, pour qui la ville peut redevenir un « laboratoire de mémoire et d’innovation ». La référence normande ne relève pas du hasard : c’est depuis le port du Havre que les liaisons maritimes approvisionnaient jadis la France libre installée à Brazzaville, scellant une géographie mémorielle franco-congolaise toujours intacte.
Diasporas et diplomatie économique, un tandem réactivé
Le volet économique n’a pas été relégué aux marges des débats. Les entrepreneurs Brian Huffret Bazebifoua et Patrick Banakissa ont plaidé pour une articulation plus fine entre diaspora congolaise et investisseurs européens dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et de la chaîne numérique. Ils ont souligné que le « risque perçu » reste souvent plus élevé que le risque réel, faute de données actualisées sur la gouvernance locale et les garanties juridiques. L’intervention d’Emmanuel Brouiller, consul honoraire du Congo à Rouen, a illustré cette convergence en annonçant des projets conjoints impliquant les villes normandes et Brazzaville, notamment dans la valorisation du fleuve Congo comme voie de transport durable.
Le rôle stratégique de la Normandie dans la renaissance congolaise
La sélection de la Normandie comme partenaire témoigne d’un choix diplomatique précis : adosser la renaissance de Brazzaville à un territoire français incarnant la résilience et la reconstruction. Après la Seconde Guerre mondiale, le « modèle normand » de restauration patrimoniale est devenu une référence. En exportant son savoir-faire en matière de préservation architecturale et de réhabilitation urbaine, la région pourrait accélérer la modernisation de la capitale congolaise. Alain Akouala-Atipault, ancien ministre congolais, a salué « une passerelle crédible entre deux espaces qui ont appris de l’histoire l’importance de rebâtir sans renier leur mémoire ».
Investissements et énergie : des promesses à concrétiser
Au-delà de la rhétorique, plusieurs obstacles demeurent. L’indice de facilitation des affaires du Congo reste inférieur à la moyenne subsaharienne, les infrastructures énergétiques sont vieillissantes et la diversification économique balbutiante. Toutefois, la hausse des cours des matières premières critiques et l’essor des énergies renouvelables offrent des marges de manœuvre. Patrick Banakissa a évoqué un portefeuille de projets photovoltaïques alignés sur l’Initiative africaine pour les énergies propres, tandis que des fonds normands explorent déjà la possibilité d’un mécanisme de financement mixte. La soirée a donc servi de plateforme de matchmaking, mais la concrétisation nécessitera un cadre réglementaire stabilisé et une diplomatie économique proactive.
Vers une diplomatie culturelle renouvelée
Le volet artistique, porté par les voix de Raoul Gamez, Jhey Marini, Mad Pluma et Kila Mbongo, a rappelé que la culture demeure l’un des vecteurs les plus efficaces de rayonnement international. La programmation musicale a permis de projeter une image vivante de Brazzaville, étoffant le récit officiel par une dimension sensible. Selon un conseiller culturel présent, « l’alliance du patrimoine immatériel et de la mémoire historique constitue l’architecture d’un nouveau discours diplomatique africain ». Les performances ont ainsi fonctionné comme une soft launch d’une diplomatie culturelle dont le Congo cherche à faire un marqueur identitaire.
Un agenda post-soirée assumé
Aux yeux des organisateurs, la rencontre de Montreuil n’était qu’une étape. Des ateliers thématiques sont prévus à Brazzaville dès le trimestre prochain pour élaborer une feuille de route incluant restauration patrimoniale, jumelages institutionnels et levées de fonds ciblées. La concomitance des Jeux de la Francophonie et de la préparation du sommet Afrique-France offre des fenêtres médiatiques propices pour inscrire la capitale congolaise dans un agenda international plus ambitieux. « Brazzaville n’est pas un vestige, elle est une promesse », a conclu Mounzeo-Ngoyo, invitant les partenaires européens à s’investir dans ce récit en construction. Reste à transformer l’élan d’une soirée parisienne en politique publique durable, condition sine qua non pour que la grande capitale dite oubliée reprenne effectivement sa place, non pas dans les manuels d’histoire seulement, mais dans la diplomatie active du continent.