Un rituel républicain au Palais des Congrès
Le 25 juillet 2025, à Brazzaville, la salle des conférences internationales du Palais des Congrès s’est chargée d’une solennité particulière. Sous les dorures protocolaires et devant un parterre où se mêlaient universitaires, membres du corps diplomatique et responsables politiques, le président Denis Sassou Nguesso a remis au Professeur Joseph Théophile Obenga les insignes de Grand-Croix dans l’Ordre du Mérite Congolais. Dans la hiérarchie des distinctions nationales, ce grade est la plus haute marque de reconnaissance décernée à un citoyen. Rares sont les personnalités décorées de leur vivant, ce qui confère à la cérémonie une portée symbolique d’autant plus forte que l’universitaire, bientôt nonagénaire, continue de contribuer à la vie intellectuelle africaine.
Le discours présidentiel a insisté sur « l’exigence de vérité historique » portée par l’œuvre d’Obenga et sur « l’apport décisif de la recherche savante à l’image internationale du Congo ». La mise en avant de ces deux axes – la science et le rayonnement – s’inscrit dans une stratégie de valorisation des élites : reconnaître une figure d’envergure mondiale, c’est affirmer la capacité nationale à produire du savoir stratégique. Les ambassadeurs présents ont salué, à l’issue de la cérémonie, « un geste politique à la hauteur des défis continentaux », selon les mots du doyen du corps diplomatique.
Une trajectoire intellectuelle aux résonances panafricaines
Né en 1936 au cœur du pays Bangangoulou, Joseph Théophile Obenga a, dès l’enfance, traversé les frontières linguistiques de la République du Congo. Ses études secondaires à Pointe-Noire et Brazzaville, puis son départ pour l’université de Bordeaux en 1959, l’ouvrent à la confrontation avec les récits coloniaux dominant l’historiographie d’alors. C’est dans cette France encore marquée par l’empire que la lecture de « Nations Noires et Culture » de Cheikh Anta Diop lui révèle l’ampleur du chantier africaniste. Dès lors, Obenga inscrit sa carrière dans la quête d’une restitution scientifique de la contribution négro-africaine à la civilisation mondiale.
Licencié en histoire à la Sorbonne, formé à l’égyptologie à Genève, puis encouragé par Diop lors de leur première rencontre en 1967, il signe en 1973 « L’Afrique dans l’Antiquité », ouvrage salué pour sa rigueur philologique. Au colloque de l’UNESCO sur la vallée du Nil (Le Caire, 1974), sa défense de la nature négro-africaine de l’Égypte ancienne suscite un débat qui, aujourd’hui encore, alimente la recherche comparative. Directeur du Centre International des Civilisations Bantu dans les années 1980, ministre de la Culture ensuite, professeur invité aux États-Unis, l’universitaire incarne la circulation des savoirs entre continents. Son parcours témoigne d’une diplomatie intellectuelle avant la lettre, où la mobilité du chercheur fait écho au dialogue interculturel promu par l’Union africaine.
L’hommage comme instrument de soft power national
En décorant l’un des derniers témoins directs de l’École africaine d’égyptologie, Brazzaville inscrit sa politique culturelle dans la durée. La République conjugue ainsi mémoire et projection stratégique : mémoire d’un itinéraire d’exception, projection vers un repositionnement du pays au sein des réseaux universitaires mondiaux. Le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères a rappelé qu’« en faisant rayonner un érudit de ce calibre, le Congo promeut un soft power fondé sur la connaissance plutôt que sur la seule ressource pétrolière ».
L’impact diplomatique se mesure déjà : l’Université Marien-Ngouabi négocie un partenariat renforcé avec l’Institut Khéops du Caire, tandis qu’une chaire « Civilisations Bantu et Humanités numériques » devrait voir le jour sous l’égide conjointe de l’UNESCO et de l’Union africaine. L’élévation d’Obenga à la dignité de Grand-Croix légitime ces initiatives, en offrant un visage familier aux bailleurs internationaux. Pour le gouvernement congolais, il s’agit aussi d’adresser un message à sa jeunesse : la réussite académique et l’engagement panafricaniste sont des voies d’ascension citoyenne reconnues par l’État.
Vers une génération héritière
La présence, ce 25 juillet, de plusieurs associations étudiantes avait valeur de promesse. Dans son allocution, le Professeur Obenga a exhorté les nouvelles générations à se saisir des « archives endormies de notre continent » et à tisser un « contrat social africain pour le XXIᵉ siècle ». Son propos s’inscrit dans la lignée de son essai de 2007 qui appelait à conjuguer souveraineté culturelle et intégration économique. Au-delà de la célébration, la cérémonie brazzavilloise pose donc les jalons d’un agenda : investir dans la recherche fondamentale pour mieux peser sur les normes internationales.
Le gouvernement, de son côté, a annoncé la réhabilitation prochaine du Centre international des civilisations bantu, programme inscrit dans le Plan national de développement. En érigeant l’hommage individuel en catalyseur collectif, Brazzaville fait le pari qu’une nation se raconte au prisme de ses savants. Il appartiendra aux universitaires congolais de prolonger cette dynamique, afin que l’œuvre d’Obenga ne demeure pas seulement un patrimoine, mais devienne une méthodologie pour penser l’Afrique de demain.