Une dynamique partenariale renouvelée
La visite de courtoisie, le 10 juillet à Brazzaville, de l’ambassadrice de l’Union européenne Anne Marchal au nouveau ministre des Finances, du Budget et du Portefeuille public, Christian Yoka, avait tout du rendez-vous protocolaire. Elle s’est pourtant muée en démonstration de continuité stratégique. D’emblée, les deux interlocuteurs ont rappelé la solidité d’un partenariat noué en 1963 et consolidé à chaque cycle budgétaire européen. Les chiffres, tenus à distance respectueuse des communiqués officiels, n’en disent pas moins long : depuis dix ans, plus de 450 millions d’euros ont été mobilisés, tous instruments confondus, pour soutenir les priorités fixées par Brazzaville dans son Plan national de développement. Cette longévité confère au dialogue UE-Congo un statut singulier en Afrique centrale, où la stabilité politique constitue un facteur différenciant.
Infrastructures : le ciment diplomatique
Au fil des échanges, l’accent a été mis sur la modernisation des infrastructures, perçue par l’exécutif congolais comme le socle d’une croissance plus inclusive. La réhabilitation de la route Ouésso-Sangha, tout comme l’électrification rurale dans le Niari, sont régulièrement cités comme exemples de « retour sur investissement social », selon un conseiller technique du ministère qui requiert l’anonymat. L’ambassadrice Marchal a souligné que ces chantiers ne sont pas de simples rubans à couper : ils doivent catalyser le renforcement de la chaîne logistique régionale et sécuriser les approvisionnements, condition sine qua non à la diversification économique défendue par les autorités. En écho, le ministre Yoka a rappelé la volonté présidentielle de faire de la maintenance des ouvrages une priorité budgétaire afin d’éviter l’écueil des éléphants blancs.
Transition numérique : priorité transversale
La numérisation, présentée comme « accélérateur de transformation structurelle » par la diplomate européenne, s’invite désormais au cœur des priorités communes. Le Congo, qui a récemment inauguré un backbone national à fibre optique, souhaite capitaliser sur cette infrastructure pour digitaliser ses services publics et renforcer la transparence fiscale. Bruxelles met en avant le succès des programmes d’e-gouvernement menés au Rwanda et au Cap-Vert pour justifier une hausse des lignes budgétaires consacrées à l’économie digitale congolaise. Dans les couloirs du ministère des Postes et des Télécommunications, l’on reconnaît volontiers que l’accompagnement technique européen, notamment via Expertise France, facilite la montée en compétence des ingénieurs locaux et favorise l’attraction d’investissements privés.
Diversification économique et capital humain
Dépende nte historiquement des hydrocarbures, l’économie congolaise s’efforce de diversifier ses moteurs de croissance. Les programmes de formation professionnelle soutenus par le Fonds européen de développement répondent à cette stratégie. Plusieurs centres d’excellence, à Pointe-Noire et Dolisie, forment désormais des techniciens de maintenance industrielle et des spécialistes de la transformation agro-alimentaire. « La compétitivité passe par un capital humain renouvelé, capable de soutenir les filières bois, cacao ou services numériques », confie un économiste de la Commission de l’Union africaine en poste à Addis-Abeba. L’exécutif congolais voit dans ces initiatives un moyen de maximiser les retombées locales tout en sécurisant l’emploi des jeunes, enjeu crucial pour la stabilité sociale.
Gouvernance forestière : l’épreuve du terrain
Couvert à plus de 60 % par la forêt équatoriale, le Congo est un pivot de la lutte mondiale contre le changement climatique. L’Union européenne, signataire avec Brazzaville d’un Accord de partenariat volontaire sur l’application des réglementations forestières depuis 2013, s’appuie sur ce cadre pour promouvoir une exploitation durable. Si certains observateurs pointent la lenteur du déploiement des certificats de légalité, la partie européenne se refuse à parler d’« arrêt » de projet. Beaucoup d’actions sont arrivées au terme de leur cycle financier, précise Anne Marchal, mais elles laissent place à une phase de consolidation fondée sur le transfert de compétences aux administrations congolaises. Les autorités nationales, pour leur part, rappellent que la conservation doit aller de pair avec la valorisation responsable du bois, afin d’alimenter les chaînes locales de transformation.
Perspectives financières et diplomatiques
Le futur Cadre financier pluriannuel de l’Union européenne réserve, selon nos informations, une enveloppe supplémentaire à l’Afrique centrale, dont Brazzaville pourrait capter une part significative. Le dialogue du 10 juillet s’inscrit donc dans une offensive de programmation budgétaire qui devra tenir compte des impératifs macroéconomiques du Congo, particulièrement dans la gestion de sa dette. « La discipline fiscale affichée ces dernières années constitue un signal positif pour nos États membres », assure une source diplomatique à Bruxelles. La présence de partenaires émergents, à l’instar de la Chine ou de la Turquie, ne semble pas inquiéter l’UE ; elle incite plutôt cette dernière à affiner son offre en combinant financement, expertise technique et accès privilégié au marché unique européen.
Cap sur une coopération gagnant-gagnant
La satisfaction mutuelle exprimée à l’issue de l’entretien entre Anne Marchal et Christian Yoka souligne l’alignement des intérêts stratégiques. Pour Brazzaville, l’appui européen demeure un levier essentiel dans la mise en œuvre d’une vision de développement équilibré, prônée par le président Denis Sassou Nguesso. Pour Bruxelles, le Congo représente un partenaire stable au cœur du bassin du Congo, dont la contribution à la sécurité énergétique et environnementale du continent européen est de plus en plus reconnue. Cette convergence n’exclut pas une vigilance réciproque : chaque projet sera évalué au prisme des résultats, une exigence désormais partagée. En coulisse, les négociateurs travaillent déjà à un nouveau paquet d’initiatives capable d’amplifier la transformation numérique, d’accroître la valeur ajoutée locale et de pérenniser la préservation de l’immense capital forestier congolais. Les signaux sont donc au vert pour une coopération que les deux parties entendent inscrire dans la durée, convaincues que la stabilité de demain se construit aujourd’hui à la croisée des intérêts financiers, environnementaux et humains.