Brazzaville au centre du jeu pétrolier
Sous le plafond lumineux du Centre international de conférences de Kintélé, Brazzaville a accueilli du 31 octobre au 4 novembre 2025 la session conjointe du Conseil exécutif et du Conseil des ministres de l’Organisation des producteurs de pétrole africains, plus connue sous l’acronyme APPO.
L’évènement, présidé par le ministre congolais des Hydrocarbures Bruno Jean Richard Itoua, a réuni dix-huit délégations ministérielles décidées à accélérer l’intégration énergétique du continent et à protéger, avec pragmatisme, la manne pétrolière face aux impératifs de la transition mondiale.
Pour M. Itoua, le Congo ne se limite plus à exporter du brut; le pays s’affirme désormais comme plateforme de dialogue africain. « Notre responsabilité est collective : consolider un marché africain robuste pour garantir à nos populations l’accès à l’énergie et à la prospérité », a-t-il déclaré en séance d’ouverture.
Transition énergétique à l’africaine
À l’heure où plusieurs bailleurs internationaux redéploient leurs capitaux vers les renouvelables, les ministres de l’APPO estiment que l’Afrique doit suivre sa propre trajectoire, combinant hydrocarbures, gaz et énergies vertes selon les réalités nationales plutôt qu’un modèle unique importé.
Le secrétaire général, le docteur Omar Farouk Ibrahim, a rappelé que le continent contribue pour moins de quatre pour cent aux émissions mondiales de CO2, mais qu’il supporte déjà de plein fouet les impacts climatiques, d’où la nécessité d’une voix africaine forte dans les négociations internationales.
Les discussions ont ainsi abouti à une résolution sollicitant la création d’un fonds spécial pour la décarbonation graduelle des installations pétrolières, financé en partie par les revenus futurs de l’African Energy Bank et par des partenariats publics-privés locaux.
Naissance imminente de la Banque africaine de l’énergie
Présentée comme la pierre angulaire de l’autonomie financière, la Banque africaine de l’énergie ouvrira ses guichets à Abuja au premier trimestre 2026, selon le président du comité exécutif de l’APPO, qui affirme que le processus d’agrément des États actionnaires avance « normalement ».
L’institution, fruit d’un partenariat avec Afreximbank, disposera d’un capital initial de cinq milliards de dollars destiné à financer les projets d’exploration, de raffinage, d’infrastructures gazières et, à terme, d’énergies renouvelables portées par des entreprises africaines.
Pour nombre d’analystes présents à Brazzaville, cette banque est la réponse la plus concrète au désengagement progressif des acteurs financiers occidentaux des industries fossiles, un phénomène qui risque de priver le continent de ressources indispensables à son industrialisation.
Réforme interne pour plus d’efficacité
La session a également validé une refonte du secrétariat général afin de le doter d’unités de recherche économique, juridique et technologique capables de fournir des données en temps réel aux pays membres et de mieux articuler leurs politiques nationales.
Le docteur Ibrahim s’est félicité d’« une APPO transformée en organisation énergétique mondiale respectée », soulignant l’adhésion récente de la Namibie et du Sénégal et la perspective d’autres candidatures africaines désireuses d’accéder à l’expertise et aux financements mutualisés.
Les ministres ont par ailleurs adopté une procédure allégée de partage d’informations commerciales, considérée comme cruciale pour renforcer la transparence et réduire la concurrence interne qui fait souvent baisser les prix de vente des pétroles africains sur le marché international.
Un marché intra-africain en construction
Selon les données présentées, moins de 20 % du pétrole extrait en Afrique est actuellement raffiné ou consommé localement, un paradoxe que l’APPO veut résoudre en encourageant les contrats d’approvisionnement régionaux et la création de hubs logistiques, notamment à Pointe-Noire et Port-Harcourt.
Les ministres ont approuvé le principe d’un mécanisme de tarification commun, indexé sur un panier de bruts africains, afin de réduire la volatilité des revenus et de sécuriser les chaînes de valeur des compagnies nationales.
Dans les couloirs, plusieurs délégués se sont réjouis de voir l’Accord de libre-échange continental africain trouver enfin un relais sectoriel concret, la plupart des droits de douane sur les produits pétroliers intracontinentaux devant être levés progressivement d’ici à 2030.
Perspectives 2026 et rôle du Congo
Avant de clore les travaux, Bruno Jean Richard Itoua a insisté sur la nécessité pour chaque État d’aligner ses politiques budgétaires avec les objectifs fixés, notamment en investissant dans les raffineries, la formation des ingénieurs et la digitalisation des processus d’achat et de vente.
Le Congo, qui préside l’organisation jusqu’en décembre 2025, promet de poursuivre son activisme diplomatique afin que les premiers crédits de l’African Energy Bank soutiennent en priorité les projets intégrateurs, gages d’emplois locaux et d’un meilleur accès à l’énergie pour les citoyens.
Au terme de la conférence, Brazzaville accueillera l’an prochain un forum consacré à l’hydrogène vert, signe que le pays souhaite élargir le débat énergétique au-delà des hydrocarbures et offrir aux jeunes innovateurs congolais une vitrine continentale.
