Entre soft power et souveraineté culturelle
Dans la moiteur savamment maîtrisée de la salle des conférences internationales de Brazzaville, l’ouverture du symposium placé sous l’égide du Festival panafricain de musique a résonné comme une profession de foi en faveur du soft power continental. En rappelant que la musique reste l’un des rares langages réellement transfrontaliers, la représentante résidente de l’Unesco, Fatoumata Barry Marega, a tracé une ligne de crête : conjuguer l’universalité des rythmes au service de la souveraineté culturelle. Sa prise de parole s’est inscrite dans la dynamique diplomatique que le Congo-Brazzaville défend depuis plusieurs années, à savoir une présence active dans les enceintes multilatérales tout en valorisant des spécificités nationales assumées.
Le FESPAM, catalyseur d’un agenda continental
Depuis 1996, le FESPAM s’impose comme un rendez-vous culturel majeur du continent, mais l’édition 2023 marque un tournant assumé. En se dotant d’un symposium à forte teneur stratégique, la manifestation brazzavilloise franchit le seuil de la célébration pour embrasser celui de la réflexion structurante. Le commissaire général, Hugues Ondaye, a d’ailleurs insisté sur la vocation panafricaine de l’événement, rappelant que « le FESPAM n’est pas qu’une scène mais un laboratoire d’idées ». Aux côtés des délégations venues de quinze pays, la présence de l’Union africaine témoigne d’une volonté de cohérence avec l’Agenda 2063, lequel fait de la culture un pilier du développement durable.
Données probantes et gouvernance sectorielle
L’expérience internationale démontre que les industries culturelles prospèrent quand elles reposent sur des politiques fondées sur des indicateurs fiables. C’est précisément le cœur du message porté par l’Unesco à Brazzaville : sans cartographie précise des flux financiers, des modèles de diffusion et des chaînes de valeur, toute stratégie se condamne à l’approximation. Plusieurs chercheurs en économie de la culture, dont le Sénégalais Abdoulaye Ndiaye, ont ainsi partagé les résultats de leurs travaux sur la contribution de la musique au PIB dans dix pays d’Afrique de l’Ouest – une part encore modeste mais en croissance annuelle de près de 5 %. Pour le Congo, la Direction générale des arts et des lettres a présenté un premier tableau de bord national, fruit d’un recensement inédit des sites de production, des plateformes de streaming locales et des droits perçus en 2022.
La question cruciale de la rémunération équitable
Si la musique congolaise continue de séduire les scènes du monde, les artistes rappellent que la notoriété ne garantit plus la viabilité économique. Les échanges du symposium ont mis en lumière la tension entre visibilité et revenus, particulièrement aiguë dans l’écosystème numérique. Les représentants des sociétés de gestion collective congolaises ont présenté les avancées réalisées depuis la réforme du cadre légal de 2021, laquelle harmonise le droit d’auteur avec les conventions de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Ils admettent néanmoins qu’à peine 20 % des œuvres enregistrées parviennent à générer des droits significatifs sur les principales plateformes. L’Unesco, par la voix de Mme Marega, a souligné la nécessité de mécanismes de répartition transparents tout en saluant la volonté politique affichée par les autorités de Brazzaville de sécuriser les créateurs dans le nouveau Plan national de développement culturel 2022-2026.
Transformation numérique et intelligence artificielle
Dans les couloirs du symposium, on ne parle plus seulement de studios et de podiums ; on évoque la data, la blockchain et l’intelligence artificielle générative. Les spécialistes du numérique estiment que l’Afrique subsaharienne représente aujourd’hui le deuxième marché mondial à la croissance la plus rapide pour le streaming musical. Conscient de cet enjeu, le gouvernement congolais a récemment annoncé la mise en place d’un guichet unique destiné à favoriser les investissements technologiques dans le secteur créatif. L’initiative, saluée par plusieurs start-up présentes, devrait notamment faciliter l’enregistrement en ligne des œuvres et la traçabilité des droits. Le chercheur kényan Kamau Njoroge a signalé, de son côté, l’émergence d’algorithmes capables de détecter les infractions de copyright en temps réel, une avancée dont l’Afrique gagnerait à se saisir pour palier l’évasion des revenus vers des serveurs extraterritoriaux.
Cap sur 2030 : vers une industrie durable
À l’issue de trois jours de travaux, un consensus se dégage : la musique africaine ne pourra changer d’échelle qu’en conjuguant action publique, investissement privé et coopération internationale. Les recommandations préliminaires, qui seront adressées aux ministres de la Culture de la CEEAC, invitent à renforcer les fonds d’appui à la création, à négocier des quotas de diffusion locale sur les plateformes étrangères et à intensifier les formations en management culturel. Dans cette perspective, Brazzaville se positionne comme un pivot stratégique, d’autant que le pays dispose d’une diplomatie culturelle active et d’une stabilité politique propice à l’accueil d’incubateurs régionaux. En refermant les portes du symposium, les participants semblaient partager la conviction exprimée par un producteur ivoirien : « Le temps est venu de passer du tam-tam symbolique au tambour économique ». À l’aube de la prochaine décennie, c’est donc un écho résolument optimiste qui s’élève des rives du fleuve Congo, là où les vibrations musicales rencontrent les ambitions de développement.