Le tournant du 27 juin et la recomposition des équilibres
Le 27 juin dernier, Kigali et Kinshasa parvenaient, sous l’égide de plusieurs partenaires extérieurs, à un accord que l’émissaire américain Massad Boulos a qualifié d’« historique », rappelant qu’aucun dispositif n’avait auparavant embrassé à la fois le retrait synchronisé des troupes rwandaises, la neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda et la limitation des activités du M23. L’onde de choc positive de cette entente, destinée à mettre fin à un conflit qui a coûté, selon les estimations onusiennes, plus de six millions de vies et déplacé huit millions de personnes, dépasse largement les frontières des deux protagonistes.
Dans cette conjoncture, le Congo-Brazzaville, épargné par les flambées de violence mais pleinement conscient de leur dimension transfrontalière, s’emploie à traduire le nouveau climat de confiance en architecture régionale pérenne. La démarche brazzavilloise s’inscrit dans le prolongement de la tradition de médiation qu’a cultivée le président Denis Sassou Nguesso, héritier de l’« esprit de la Conférence nationale souveraine » de 1991 et artisan des précédentes initiatives de cessez-le-feu en Afrique centrale.
Brazzaville, relais discret des conversations sensibles
Dans les couloirs feutrés de La Sablière, la résidence présidentielle sur les rives du fleuve Congo, plusieurs émissaires des Grands Lacs ont défilé ces dernières semaines, confirmant la préférence de nombreuses parties pour un canal de dialogue à l’abri des projecteurs. « Le président Sassou Nguesso offre un espace de neutralité affective, sans agenda caché », confie un haut responsable de l’Union africaine en poste à Addis-Abeba.
Aux dires d’un diplomate européen, Brazzaville « a la capacité d’écouter Kinshasa sans braquer Kigali et inversement ». Une capacité précieuse quand la moindre maladresse verbale suffit à rallumer les braises. La diplomatie congolaise, en s’appuyant sur son réseau panafricaniste tissé depuis la médiation inter-soudanaise des années 1990, mise sur la « fatigue de la guerre » pour accélérer la normalisation. Les consultations organisées en marge du Sommet des Chefs d’État de la CEEAC, fin juillet à Malabo, ont démontré que cette approche informelle pouvait irriguer les discussions plus officielles prévues à Doha entre représentants du M23 et autorités congolaises.
Synergies minières et pari d’une intégration gagnant-gagnant
Le volet économique n’est pas en reste. Washington a confirmé qu’un accord tripartite sur la valorisation des minerais stratégiques serait rendu public à la Maison-Blanche dès sa finalisation. Aux côtés de la RD C, le Rwanda et, plus discrètement, le Congo-Brazzaville sont appelés à devenir les pivots d’un dispositif d’approvisionnement sûr et transparent en cobalt, lithium et cuivre, indispensables à la transition énergétique mondiale.
Le ministre congolais des Mines a rappelé, lors d’un déplacement à Houston, que le gisement de potasse de Kanga et les réserves de niobium de Loutété offraient « une profondeur stratégique » à toute chaîne de valeur durablement arrimée au golfe de Guinée. Brazzaville fait ainsi valoir que la sécurisation du corridor minéral par une coopération régionale renforcée supprimera les freins logistiques qui faisaient le lit des trafics transfrontaliers. Pour les investisseurs américains pressés par la loi anti-travail des enfants, le label « origine certifiée CEEAC » pourrait devenir un argument commercial décisif.
Vers une architecture sécuritaire partagée
Au-delà des minerais, la consolidation de la paix passe par des mécanismes conjoints de sécurité. L’idée d’un centre régional d’alerte précoce, porté par la CEEAC mais hébergé à Brazzaville, refait surface. Il disposerait d’analystes originaires de tous les États membres et d’une capacité de déploiement rapide, à l’image de la Force multinationale mixte opérant déjà dans le bassin du lac Tchad.
Le chef d’état-major congolais, le général Guy Blanchard Okoï, a indiqué que les discussions portaient sur la mutualisation des drones de surveillance livrés récemment à plusieurs capitales de la sous-région. Un tel partage technologique, combiné à l’échange de bases de données sur les groupes armés, traduirait le passage d’une solidarité de façade à une coproduction effective de sécurité collective.
Quelle marge de manœuvre pour Denis Sassou Nguesso ?
Alors que Brazzaville doit composer avec une conjoncture budgétaire sous tension, la diplomatie apparaît comme un actif intangible à forte valeur ajoutée. Le président congolais, doyen des chefs d’État de la sous-région avec quarante années de pouvoir cumulées, joue sa crédibilité internationale dans la réussite du processus. Son entourage assure qu’il n’entend pas se substituer aux protagonistes, mais offrir « l’huile d’engrenage » indispensable au bon fonctionnement d’un compromis complexe.
Si le calendrier électoral congolais ne figure pas à l’agenda immédiat des chancelleries occidentales, la capacité de Brazzaville à incarner un pôle de stabilité dans un espace miné par l’insécurité demeure scrutée. À court terme, le succès de l’accord du 27 juin se mesurera à la réduction tangible des violences autour de Goma. À moyen terme, il se lira dans la mise en place d’un marché commun des minerais, auquel le Congo-Brazzaville entend apporter sa profondeur logistique et son statut maritime.
En capitalisant sur l’évolution actuelle, Denis Sassou Nguesso espère consolider sa posture de médiateur respecté sur la scène continentale. Pour l’heure, l’équation s’avère délicate, mais les signaux convergent vers une fenêtre d’opportunité rare, que Brazzaville semble résolue à ne pas laisser se refermer.