Brazzaville, salle d’écoute du continent
Sur les rives du fleuve Congo, la douzième édition du Festival panafricain de musique (FESPAM) a choisi d’ouvrir le bal par un exercice moins festif qu’il n’y paraît : un atelier de haut niveau consacré à la « découvrabilité » des œuvres musicales africaines. Pendant deux jours, les murs du Mémorial Pierre Savorgnan De Brazza ont résonné d’échanges techniques et stratégiques. Les participants, venus de Brazzaville, Pointe-Noire, Kinshasa et Ndjamena, ont interrogé les ressorts intimes qui permettent à une chanson de surgir sur l’écran d’un auditeur qui ne la cherche pas encore.
Diplomatie culturelle et souveraineté numérique
La tenue d’un tel forum à Brazzaville n’est pas anodine. Capitale érigée en hub diplomatique de la CEMAC, la ville entend consolider son image de plateforme culturelle en s’attaquant au défi majeur du XXIᵉ siècle : la souveraineté numérique. Comme l’a rappelé le commissaire général Hugues Gervais Ondaye, l’accès à la danse n’est plus suffisant ; il faut désormais maîtriser le code qui fait danser. L’injonction traduit la volonté du Congo de se positionner en acteur constructif d’une diplomatie culturelle connectée.
L’OIF, pivot d’une stratégie francophone
L’atelier, soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie, s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie numérique de l’organisation, laquelle voit dans la découvrabilité un vecteur d’intégration des marchés créatifs francophones. Devant les chroniqueurs et producteurs réunis, le formateur sénégalais Lamine Ba a esquissé une cartographie des plateformes globales. Il a rappelé que la simple visibilité obtenue à coups de campagnes sponsorisées s’essouffle si les métadonnées ne dialoguent pas avec les algorithmes qui ordonnent Spotify, YouTube ou TikTok.
Algorithmes et métadonnées, nouveaux maîtres du jeu
Le débat sur la découvrabilité révèle une tension classique entre promotion et recommandation. À l’ère du flux permanent, le clic fortuit résulte d’un alignement précis : titres correctement tagués, visuels cohérents, tempo de publication adapté aux fuseaux horaires et, surtout, data structurée. « Dans un océan de contenus, l’artiste qui renseigne ses métadonnées construit son phare », a lancé Lamine Ba, déclenchant un silence aussitôt habité d’approbation. Le message est clair : sans architecture de données, le soft power musical reste à quai.
Professionnaliser la chaîne de valeur musicale
Les échanges ont également pointé un enjeu de gouvernance interne. Sur le continent, la polyvalence contraint souvent un artiste à cumuler casquettes de manager, producteur et distributeur, ce qui limite la profondeur stratégique. Plusieurs intervenants ont plaidé pour une segmentation plus professionnelle des métiers, condition nécessaire à l’émergence d’exportateurs aguerris capables de négocier avec des plateformes mondialisées. La démarche répond à la priorité fixée par les autorités congolaises : structurer un tissu entrepreneurial créatif qui dialogue d’égal à égal.
Synergies transfrontalières et multilatéralisme
Au-delà des considérations techniques, Brazzaville a donné à voir un laboratoire de coopération régionale. La présence d’acteurs venus de Kinshasa et Ndjamena a rappelé la porosité des scènes musicales d’Afrique centrale et la pertinence d’initiatives transfrontalières. Le représentant de l’OIF a salué « une dynamique multilatérale qui amplifie la voix francophone dans l’économie de l’attention ». Les discussions ont évoqué la mise en réseau des hubs d’enregistrement ainsi qu’un partage de bonnes pratiques sur la protection des droits voisins.
Vers une découvrabilité respectueuse des identités
Le rendez-vous a enfin acté la nécessité d’une écologie numérique durable. Si l’algorithme s’impose comme un partenaire incontournable, les experts ont souligné l’importance de préserver la signature artistique et les identités locales. Dans cet esprit, la plateforme Music in Africa a été mobilisée comme espace de capitalisation et de narration panafricaine. Cette dimension patrimoniale, chère aux autorités congolaises, conforte l’idée que la découvrabilité ne vise pas la conformité mais la rencontre entre altérité et curiosité mondiale.
Un plan d’action au service du rayonnement congolais
À l’issue des travaux, un consensus émerge : la découvrabilité ne saurait être un slogan, elle doit devenir un chantier partagé par l’État, les organisations internationales et le secteur privé. Brazzaville s’est engagée à formaliser un plan d’action intégrant formation continue, accompagnement financier ciblé et diplomatie économique. En d’autres termes, la capitale congolaise entend faire de la musique un levier supplémentaire de son rayonnement, consolidant ainsi la place du pays dans le concert des nations créatives.