Abidjan redécouvre la voix de Brazzaville
En foulant le tarmac d’Abidjan le 29 juin, Isidore Mvouba n’a pas seulement répondu à l’invitation de son homologue Adama Bictogo ; il a incarné la continuité d’un dialogue politique que les capitales congolaises et ivoiriennes nourrissent depuis plusieurs décennies. Le 30 juin, dans l’hémicycle ivoirien archicomble, le président de l’Assemblée nationale du Congo a livré une allocution à la fois sobre et ambitieuse, saluant « les liens de coopération fraternelle et de responsabilité partagée » entre les deux Républiques. Cet instant protocolaire, étudié dans ses moindres détails, a offert au public diplomatique l’image d’une Afrique centrale et occidentale qui se parlent d’égal à égal, loin des schémas asymétriques historiquement associés à la scène internationale.
Les dessous stratégiques d’une visite symbolique
Le déplacement, soigneusement préparé par les services des deux chambres, revêt une dimension géo-économique palpable. M. Mvouba a rappelé que le Congo dispose de plus de dix millions d’hectares de terres arables, d’un sous-sol « bourré de métaux et de minerais » et d’un code des investissements résolument incitatif. En soulignant ces atouts naturels, l’orateur a subtilement invité les entrepreneurs ivoiriens à regarder vers le nord-est du golfe de Guinée. « Nos parlements doivent légiférer utilement pour transformer ces potentialités en prospérité partagée », a-t-il plaidé. Derrière la formule, se profile une stratégie d’intégration économique sud-sud, avec pour pivot le secteur privé régional, encouragé à se projeter sur le corridor Pointe-Noire – Abidjan.
Vers un mémorandum d’entente à haute valeur ajoutée
Le cœur de la visite aura été la perspective d’un accord formel, annoncé à mots choisis par les deux présidents d’assemblée. Le futur mémorandum doit institutionnaliser les échanges d’expertise juridique, faciliter la co-production de rapports d’impact législatif et instaurer des missions d’information conjointes. De part et d’autre, l’idée fait son chemin qu’une diplomatie parlementaire robuste constitue un complément indispensable à la diplomatie classique. Les équipes protocolaires évoquent déjà un calendrier de commissions mixtes sur l’économie numérique, la transition énergétique et la sécurité alimentaire, domaines où les législations nationales gagneraient à s’harmoniser pour accroître la compétitivité des deux marchés.
Une synergie présidentielle au service de la stabilité régionale
En toile de fond, la relation personnelle entre Denis Sassou Nguesso et Alassane Ouattara confère à l’initiative parlementaire une profondeur stratégique supplémentaire. M. Mvouba a rappelé l’élévation du chef de l’État congolais à la dignité de Grand-Croix de l’ordre national ivoirien, geste qu’il a décrit comme « une haute marque d’estime soulignant l’engagement du président Denis Sassou Nguesso pour la paix et la réconciliation des peuples d’Afrique ». Les chancelleries régionales y voient le signe d’un axe Brazzaville-Abidjan disposé à peser sur les dossiers sensibles, telles la médiation en République centrafricaine ou la coordination des politiques de lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée, sujets sur lesquels les deux chefs d’État affichent une convergence de vues notoire.
Le multilatéralisme réaffirmé par la diplomatie des élus
Noircissant son pupitre d’annotations, Adama Bictogo a profité de la clôture de la session parlementaire pour pointer la remise en question d’un multilatéralisme qu’il juge pourtant vital. « Je plaide pour une adhésion résolue aux conclusions de la Conférence de Séville sur le financement du développement », a-t-il déclaré, ajoutant que les parlements africains doivent se tenir « à l’avant-garde de la régulation face aux flux financiers illicites ». Dans le même souffle, il a salué l’accueil réservé par Brazzaville à la 16ᵉ conférence de l’Assemblée parlementaire francophone, signe d’un engagement constant du Congo envers la promotion de la francophonie politique et de la diplomatie coopérative.
Perspectives : de la rhétorique à l’action législative concertée
Les observateurs s’accordent à reconnaître que le succès d’une telle dynamique reposera sur la capacité des deux assemblées à traduire leurs ambitions en textes concrets. Dans un continent où les transitions énergétiques, la gouvernance numérique et la gestion durable des forêts exigent des réponses articulées, la valeur ajoutée d’un partenariat législatif se mesurera à la rapidité d’adoption de normes communes. Déjà, l’initiative congolaise de Décennie de l’afforestation, endossée par les Nations unies, fournit un cadre où Abidjan pourrait s’aligner en codifiant des incitations fiscales similaires. À plus long terme, l’arrimage des politiques agricoles et minières devrait favoriser la création de chaînes de valeur régionales, prémices d’un marché africain effectivement intégré et résilient.