La diplomatie financière à l’œuvre
Au cœur de l’hiver austral, le ministère brésilien des Finances a servi de décor à une scène feutrée mais stratégique : la République fédérative du Brésil et la République du Congo ont paraphé un premier avenant aux accords de rééchelonnement de la dette signés en 2014. Derrière la poignée de main entre la procureure Sônia de Almendra F. Portella Nunes et l’ambassadeur Louis Sylvain-Goma, c’est tout un pan de la relation bilatérale qui se voit consolidé, près de quarante-trois ans après l’établissement des liens diplomatiques. La manœuvre ne tient pas seulement du geste technique ; elle témoigne d’une capacité conjointe à adapter un partenariat financier aux mutations rapides des marchés de capitaux.
Term SOFR, nouveau compas financier
Le point nodal de cet avenant tient à la disparition programmée du Libor, jadis référence planétaire pour les taux interbancaires. Depuis le scandale de manipulation révélé en 2012, la communauté financière l’a abandonné au profit d’indices jugés plus transparents. Pour l’encours congolais vis-à-vis de Brasilia, c’est désormais le Term SOFR publié par l’agence Bloomberg qui fixera le cap. À Brazzaville, plusieurs analystes voient dans cette substitution « une mesure prophylactique face à la volatilité monétaire internationale », selon les termes d’un haut fonctionnaire du ministère congolais des Finances. Au-delà de la technique, l’accès à un taux adossé à la liquidité américaine pourrait, à moyen terme, faciliter la prévisibilité budgétaire d’un Trésor public encore marqué par la chute des cours pétroliers de 2014-2016.
Négociations post-crise et marge de manœuvre retrouvée
Il a fallu, de part et d’autre de l’Atlantique, un travail de dentelle diplomatique pour parvenir à cet avenant. La République du Congo sort progressivement d’une séquence macroéconomique tendue, aggravée par la pandémie et la contraction de la demande chinoise en hydrocarbures. Dès 2021, Brazzaville avait engagé un programme formel avec le FMI, assorti d’engagements de transparence. « Le signal envoyé aux créanciers sud-américains est celui d’un retour à la discipline budgétaire », confie un conseiller économique brésilien proche du dossier. La validation simultanée par le Sénat de Brasilia et l’Assemblée nationale congolaise illustre la dynamique coopérative, loin d’être anodine à l’heure où plusieurs États d’Afrique centrale cherchent à renégocier leurs engagements extérieurs.
Vers une architecture de dette plus soutenable
Un second avenant, déjà introduit devant la chambre haute brésilienne, vise à réduire la charge globale du service congolais. S’il était adopté, il libérerait un espace budgétaire estimé à plus de trente millions de dollars sur cinq ans, selon des chiffres confidentiels communiqués par un cadre de la Banque centrale du Congo. Brazzaville pourrait ainsi réallouer des marges au financement des projets d’interconnexion énergétique avec la sous-région CEMAC. Pour le Brésil de Luiz Inácio Lula da Silva, l’opération s’inscrit dans la tradition de la « diplomatie sud-sud » qui cherche à affirmer la puissance douce de Brasilia sur le continent africain. Le geste n’est pas pure philanthropie : il devrait consolider l’accès des entreprises brésiliennes au chantier de la Zone économique spéciale de Pointe-Noire, présenté comme un futur hub pétrochimique.
De la finance aux forêts, un axe qui s’épaissit
La mise à jour des modalités d’emprunt s’inscrit dans un faisceau plus large de coopérations sectorielles. Au sommet de l’Organisation du Traité de coopération amazonienne, tenu à Belém en 2023, le président Denis Sassou Nguesso avait rappelé la convergence d’intérêts entre la forêt amazonienne et le Bassin du Congo, « les deux poumons de la planète », formule reprise par plusieurs chancelleries occidentales. En 2024, des groupes de travail conjoints planchent déjà sur des mécanismes de crédits carbone et sur le partage d’expertise agraire. Là encore, l’avenant financier apparaît comme un catalyseur et non comme une fin en soi. « Il illustre la confiance politique nécessaire pour franchir le pas vers des projets à long terme », insiste un diplomate français en poste à Brasilia. En d’autres termes, la reconfiguration de la dette devient l’outil discret d’un rapprochement géostratégique, à la croisée des transitions énergétiques et des ambitions émergentes.
Perspectives de stabilité et d’influence
À l’heure où nombre de créanciers réévaluent leur exposition en Afrique, la fluidité des discussions Congo-Brésil tranche avec les tensions observées dans d’autres capitales. La primature congolaise juge que « la diversification des partenaires et l’assainissement de la dette constituent un levier de souveraineté ». Les observateurs brésiliens, de leur côté, voient déjà dans ce partenariat un laboratoire d’ingénierie financière exportable à d’autres pays lusophones d’Afrique centrale. En définitive, ce premier avenant ne se résume pas à un ajustement technique ; il constitue une pierre supplémentaire d’un édifice diplomatique voulu résilient, où les intérêts économiques servent de rampe à une coopération politique appelée à se densifier.