Un verdict mi-figue mi-raisin qui entretient l’incertitude
Le 27 mars, la cour d’appel d’Alger a confirmé la peine de cinq ans de réclusion infligée à Boualem Sansal pour atteinte à l’intégrité territoriale. La décision, rendue après un réquisitoire initial de dix ans, a aussitôt été interprétée par les observateurs comme la première pièce d’un dispositif plus large. Dans la pratique algérienne, une condamnation ferme peut constituer le prélude à une remise de peine, voire à une grâce, dès lors que la justice aura matérialisé sa souveraineté. En officialisant la sanction, le pouvoir satisfait une partie de l’opinion publique choquée par les propos polémiques de l’écrivain, tout en laissant ouverte la voie d’un geste d’apaisement.
La mécanique feutrée des grâces présidentielles du 5 juillet
Depuis l’indépendance, la date du 5 juillet donne régulièrement lieu à des décisions de clémence à forte portée symbolique. Le dernier communiqué présidentiel divulgué en décembre évoquait déjà, en termes volontairement sibyllins, la libération de « huit détenus en attente de jugement », formulation suffisamment large pour inclure des figures sensibles. Selon des sources diplomatiques, Boualem Sansal figure bel et bien dans les projections travaillées par la Présidence. Une amnistie, parce qu’elle effacerait la sentence sans contester sa légitimité, offrirait à Alger l’image d’un État droit dans ses bottes mais capable de magnanimité à l’occasion d’une commémoration nationale.
Paris et Alger : la ligne directe remise sous tension
L’entretien téléphonique du 31 mars entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune a marqué la relance officielle d’un dialogue bilatéral brouillé par des mois de crispations mémorielles et migratoires. Les deux chefs d’État, soucieux d’afficher une entente constructive, ont convenu de réactiver la coopération sécuritaire et de rationaliser les flux migratoires. Dans cet agenda, le sort de Boualem Sansal joue le rôle de test grandeur nature. Une mesure de clémence offrirait à Paris un motif tangible d’apprécier la « nouvelle dynamique » vantée par les deux capitales, tout en permettant à Alger de reprendre l’initiative sur la scène internationale.
L’entremise discrète de la diplomatie culturelle européenne
Au-delà du face-à-face Élysée-El Mouradia, plusieurs chancelleries européennes se sont impliquées, par notes verbales et canaux parallèles, en faveur de l’écrivain septuagénaire, invoquant son état de santé fragile. Le Parlement européen s’est gardé de toute résolution formelle, préférant encourager des démarches de « diplomatie silencieuse ». Quant aux cercles littéraires, ils multiplient tribunes et tributes pour rappeler l’apport de Boualem Sansal au dialogue des cultures. À Alger, cette mobilisation extérieure est accueillie avec circonspection : elle accroît la visibilité du dossier sans toutefois contraindre la décision souveraine du président Tebboune.
Entre légalité et signal politique : un dossier à haute valeur symbolique
La perspective d’une grâce n’efface pas l’infraction que l’auteur aurait commise aux yeux de la loi algérienne ; elle la transcende au nom de la raison d’État. Dans un contexte régional marqué par des recompositions diplomatiques et la multiplication des enjeux sécuritaires aux frontières sahéliennes, Alger entend démontrer que la fermeté et la clémence peuvent coexister. Pour Paris, une libération du romancier constituerait un gage de confiance susceptible d’alimenter des accords plus structurels, notamment dans l’énergie et la coopération universitaire. Reste que le suspense entretenu jusqu’au 5 juillet participe pleinement de la dramaturgie politique algérienne : il permet d’éprouver les lignes de force internes, de sonder la réaction de la société civile et, finalement, de remettre l’appareil judiciaire au cœur du récit national, sans rien céder sur la souveraineté.