Une campagne numérique savamment chorégraphiée
Dans les mois qui ont précédé la décision ghanéenne de confier le monopole commercial de l’or au Ghana Gold Board, les fils d’actualité du réseau X ont été inondés de messages attribuant tous les maux du « galamsey » aux ressortissants chinois. Des chercheurs de l’université de Clemson ont identifié au moins trente-huit comptes automatisés, parfois rédigés dans un anglais mâtiné de tournures locales, appelant à « surveiller les Chinois » pour qu’ils ne « volent plus notre or ». La plupart de ces identités factices ont disparu au lendemain de la promulgation de la réforme, preuve d’une synchronisation troublante entre agenda numérique et décision publique.
L’origine exacte de l’opération demeure nébuleuse. Les indices techniques suggèrent une location de réseaux de bots « clé en main », souvent utilisés pour des sujets aussi dissemblables que la sauce pimentée ou le conflit au Mali. Mais le timing, la cible et la nature des griefs laissent entrevoir une volonté de polariser l’opinion. Dans un pays où la liberté d’expression est jalousement défendue, la multiplication artificielle de voix confortant un sentiment nationaliste contre l’« envahisseur asiatique » a façonné l’arène politique plus sûrement que ne l’aurait fait un meeting public.
Le galamsey : miroir d’une gouvernance extractive sous tension
Premier producteur d’or du continent, le Ghana voit entre un tiers et la moitié de sa production provenir d’activités artisanales ou informelles. Le rapport publié en juin par SwissAid rappelle le coût social et environnemental de ce modèle : déforestation, contamination au mercure et érosion des terres agricoles. Sur le terrain, les acteurs étrangers approvisionnent souvent le matériel lourd et le financement, tandis que des élites locales délivrent – ou ferment les yeux sur – des permis provisoires. La chaîne de connivence transcende la binarité Ghanéens versus étrangers.
Dans cette logique, cibler exclusivement la Chine relève de la simplification. Les premières arrestations effectuées par le GoldBod, en mai dernier, concernaient en réalité des ressortissants indiens. Selon FactSpace West Africa, le discours public passe pourtant sous silence la responsabilité de politiciens régionaux qui louent leurs concessions ou protègent des sites illégaux en échange de loyers informels.
Accra : entre prudence diplomatique et pression populaire
Si l’exécutif ghanéen s’est gardé d’accuser frontalement Pékin, la décision d’écarter les investisseurs étrangers a été perçue comme un signal fort. Officiellement, il s’agit de restaurer l’ordre légal et d’augmenter la part captée par le trésor public. Officieusement, le gouvernement répond à une opinion lassée de voir des rivières brunies par la boue et des villages défigurés.
Cette posture comporte un risque diplomatique mesuré. La Chine finance des infrastructures clés, du port de Tema aux centrales hydroélectriques, et reste un créancier déterminant. En privé, des conseillers présidentiels reconnaissent la nécessité de ménager le partenaire asiatique tout en calmant les esprits domestiques, persuadés que « l’or file vers Shanghai ». Dans les chancelleries occidentales, on observe avec intérêt cette redistribution des cartes, certains y voyant un pas vers la diversification des alliances d’Accra.
Un corridor stratégique pris dans les rivalités globales
La lutte contre le galamsey ne se joue pas seulement sur les berges de la Volta. Au nord, le front sécuritaire sahélien se rapproche : des groupes armés, chassés du Burkina Faso voisin, testent la porosité des frontières, parfois attirés par la manne aurifère. Dans ce contexte, la nationalisation partielle de la filière répond aussi à une exigence de contrôle territorial. Les services de renseignement redoutent qu’un or grisé par la contrebande finance l’entrée de cellules djihadistes sur le sol ghanéen.
Accra se trouve donc à la confluence d’appétits multiples : Russie et Occident rivalisent d’offres de formation militaire, les Émirats convoitent les titres miniers, et la Banque mondiale presse pour une transparence accrue. La campagne de bots apparaît dès lors comme un symptôme numérique de ces batailles d’influence, chacun cherchant à façonner la narration selon ses intérêts.
Quel horizon pour une gouvernance aurifère inclusive ?
La création du GoldBod ouvre une fenêtre pour refonder la gestion de la ressource, mais son succès dépendra de trois conditions. D’abord, la capacité à associer les mineurs artisanaux à la chaîne de valeur légale, afin d’éviter que l’interdiction des étrangers ne pousse simplement l’informel dans la clandestinité. Ensuite, la mise en place de mécanismes de traçabilité, seuls garants d’une certification éthique crédible sur les marchés internationaux. Enfin, l’assainissement de la sphère informationnelle, car une politique publique minée par la désinformation reste vulnérable.
Comme le résume Senyo Hosi, figure de la société civile, « accuser l’étranger ne suffit plus ; il faut nettoyer notre propre maison ». Au-delà du trait d’humour, c’est bien l’enjeu d’une souveraineté responsable qui se joue pour le Ghana : transformer un récit de bots en programme de réformes, et substituer la diplomatie de la rumeur à celle, plus exigeante, de la transparence.