Projection commémorative et résonances historiques
Dans le patio ombragé de la chancellerie vénézuélienne à Brazzaville, la lumière du projecteur a récemment épousé les entrelacs des drapeaux tricolores pour célébrer le 214e anniversaire de l’indépendance du Venezuela. Le long-métrage « Bolívar, l’homme des difficultés » y a été dévoilé devant un parterre d’invités où se côtoyaient diplomates, universitaires, étudiants hispanisants et figures de la scène culturelle congolaise. L’initiative, inscrite dans le cadre du « Juillet patriotique », participe d’une tradition latino-américaine consistant à rappeler que le 5 juillet 1811 — date de la Déclaration d’indépendance — inaugura une ère irréversible d’émancipation qui résonne encore sur d’autres continents.
Un pont cinématographique entre Caracas et Brazzaville
À travers cette séance, l’ambassadrice Laura Evangelia Suárez a opté pour un instrument de soft power particulièrement efficace : la narration visuelle. Le film, coproduit par le Centre national autonome de cinématographie vénézuélien, trace le sillage diplomatique d’un Simón Bolívar moins statufié que stratège. Sa diffusion à Brazzaville illustre la volonté conjointe des gouvernements congolais et vénézuélien de raffermir un axe de coopération Sud-Sud déjà nourri par les échanges énergétiques et les consultations régulières au sein de forums multilatéraux. Dans un contexte géopolitique où la diversification des partenaires extérieurs demeure un pilier de la politique étrangère congolaise, le cinéma s’érige en vecteur d’influence subtile, mais tangible.
Bolívar, miroir des quêtes africaines d’émancipation
Pour nombre de spectateurs, la figure du Libertador agit comme un miroir des trajectoires émancipatrices africaines. Les archives relatent l’enthousiasme singulier de Bolívar pour la cause abolitionniste, tandis que certaines correspondances exhumées des collections de l’Université centrale du Venezuela se réfèrent explicitement aux communautés afro-descendantes engagées dans les combats. En Afrique centrale, où les mémoires de la Conférence de Brazzaville de 1944 irriguent encore la conscience historique, ce parallèle nourrit les imaginaires et renforce l’idée que les luttes de souveraineté appartiennent à un patrimoine universel.
La diplomatie culturelle, filigrane d’une souveraineté assumée
Sous l’éclairage discret de la salle, la diplomate vénézuélienne a souligné que le cinquième anniversaire de la bataille de Carabobo constitua le point d’orgue militaire scellant l’indépendance, rappelant que le Venezuela « continue à défendre son droit à exister comme nation souveraine ». Une formule qui n’a rien d’innocent : elle fait écho, côté congolais, au discours de la République attaché au respect de la Charte des Nations unies et à la non-ingérence. Dans la doctrine de Brazzaville, la culture tient lieu de passerelle conciliant affirmation identitaire et ouverture, démarche saluée par l’Union africaine qui encourage ses États membres à multiplier ce type d’initiatives croisées.
Regards croisés sur la mise en scène du Libertador
Le doyen des cinéastes congolais, Sébastien Kamba, a salué « un montage incisif, révélateur d’une diplomatie de mouvement ». Selon lui, la capacité du réalisateur à insérer des archives colombiennes et péruviennes offre « une fresque andine vue depuis l’Atlantique », manière de rappeler que les destinées caribéennes et africaines partagent une même horizon océanique. Pour les journalistes présents, la scène où Bolívar fonde sa propre imprimerie condense l’idée qu’une révolution est d’abord une bataille de récits. L’écrivaine bénino-congolaise Carmen Fifamè Toudounou a, quant à elle, mis l’accent sur la présence féminine : « Les libertés naissent souvent dans le regard des femmes. Le film le rappelle avec nuance. »
Femmes de l’ombre, actrices de la lumière indépendantiste
La diplomate a tenu à commenter la place accordée à Manuela Sáenz et aux héroïnes anonymes qui ont assuré la logistique des campagnes libertaires. Dans le public brazzavillois, l’évocation de ces trajectoires a trouvé un écho particulier, le Congo ayant récemment instauré un Prix national célébrant les pionnières de la résistance après 1960. Ce dialogue transcontinental souligne que la mise en récit des indépendances ne saurait être complète sans une lecture genrée, dimension désormais inscrite dans les priorités de l’Agence congolaise pour la francophonie et l’égalité.
Vers un agenda de coopération culturelle élargi
Au-delà de la projection, les services culturels des deux pays évoquent déjà une Semaine du cinéma bolivarien en 2025, tournée vers la jeunesse congolaise. Des ateliers de traduction audiovisuelle, soutenus par l’Université Marien-Ngouabi, devraient renforcer les compétences locales. Sur le plan diplomatique, Brazzaville et Caracas entendent présenter un projet de résolution conjoint au prochain Sommet du Mouvement des non-alignés en faveur de la protection et de la circulation des œuvres audiovisuelles du Sud. Cette initiative s’inscrit dans la droite ligne de la politique de diversification culturelle prônée par le président Denis Sassou Nguesso, pour qui le dialogue interculturel demeure un ferment de stabilité régionale.
Cinéma, mémoire et projection d’avenir
En se refermant, le générique de « Bolívar, l’homme des difficultés » a sans doute ouvert d’autres épisodes de coopération. L’image du Libertador debout sur le Panteón invite à méditer sur l’idée de souveraineté active : une souveraineté qui n’oppose pas, mais qui fédère. Dans la capitale congolaise, où la diplomatie se décline aussi sur pellicule, cette célébration aura rappelé que la mémoire historique, lorsqu’elle est partagée, devient un outil aussi puissant qu’un traité. L’alliance cinématographique entre Brazzaville et Caracas s’érige ainsi en exemple de diplomatie culturelle fructueuse, porteuse d’un message de paix et d’ouverture, sans rien céder sur les principes d’indépendance qui fondent l’une comme l’autre des deux Républiques.