Du silence parisien à l’agitation fluviale de la capitale congolaise
Après presque dix années d’un exil feutré dans la périphérie parisienne, Bertin Béa, autrefois éminence grise de François Bozizé et vice-président du mouvement Kwa na Kwa, a choisi Brazzaville pour réapparaître sur la scène régionale. Son arrivée, relevée par quelques observateurs au pied de la Tour Nabemba plutôt que dans les halls des hôtels huppés d’Abidjan ou de Kigali, n’est pas anecdotique : la capitale congolaise demeure, depuis la Conférence nationale souveraine de 1991, un laboratoire diplomatique où se nouent et se dénouent les équations politiques d’Afrique centrale.
Brazzaville, hub diplomatique entretenu par la présidence Sassou Nguesso
Sous l’impulsion continue du président Denis Sassou Nguesso, Brazzaville s’est imposée comme une plate-forme de dialogue, à la faveur de sa position géographique mais aussi d’une politique extérieure misant sur la médiation plutôt que l’alignement. Le Forum sur la paix dans la région des Grands Lacs (2014) ou la facilitation des pourparlers inter-libyens de 2017 ont renforcé l’image d’une diplomatie proactive. « Nous accueillons toute initiative de nature à favoriser la stabilité et l’intégration régionales », rappelle un conseiller du ministre congolais des Affaires étrangères. Dans ce décor, la présence de Bertin Béa apparaît comme une continuation logique des services de bons offices que Brazzaville propose régulièrement à ses voisins.
Le pari financier d’un retour politique vers Bangui
À 59 ans, l’ancien responsable centrafricain ne cache pas l’objet premier de sa venue : rassembler les moyens financiers nécessaires à une réinstallation à Bangui, mais surtout à la relance de réseaux politiques amoindris depuis la prise de pouvoir du président Faustin-Archange Touadéra, en 2016. Selon une source proche de la communauté centrafricaine à Brazzaville, le chiffrage initial tournerait autour d’un demi-million d’euros, destiné à financer la logistique du retour, des activités humanitaires ciblées et de la communication politique. « Nous voulons montrer que le Kwa na Kwa peut encore contribuer à la réconciliation », glisse Bertin Béa lors d’un entretien informel, évitant soigneusement toute rhétorique de confrontation.
Bangui, entre recomposition interne et vigilance sécuritaire
Le contexte centrafricain demeure marqué par une consolidation progressive des institutions, sous le regard attentif de partenaires multilatéraux tels que la CEEAC et la MINUSCA. La perspective d’un retour de figures associées à l’ancien régime suscite des interrogations légitimes à Bangui quant à l’impact sur la cohésion nationale. Toutefois, le porte-parole du gouvernement centrafricain, interrogé depuis la capitale, souligne « la maturité acquise par le processus de paix » et affirme que « tout citoyen respectueux de la loi peut rentrer au pays », indiquant implicitement que la démarche de Béa n’est pas, a priori, irrecevable.
L’entregent congolais : atout ou variable d’ajustement ?
Pour le Congo-Brazzaville, cette nouvelle séquence confirme un positionnement subtil : faciliter la circulation des acteurs politiques régionaux sans s’immiscer outre mesure dans les affaires intérieures de ses voisins. En accueillant discrètement Bertin Béa, le gouvernement congolais offre un espace de respiration à une personnalité en quête de réinsertion, tout en respectant scrupuleusement les accords de coopération judiciaire avec Bangui. « Brazzaville sert de sas tantôt politique, tantôt humanitaire », résume un universitaire congolais spécialisé dans la géopolitique du Bassin du Congo.
Perspectives sous-régionales et équation sécuritaire
Le pari de Béa dépendra in fine de sa capacité à convaincre les acteurs économiques de la sous-région, en particulier ceux établis entre Pointe-Noire et Douala, de la viabilité d’un engagement centré sur la reconstruction centrafricaine. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) reste, pour sa part, préoccupée par les flux de déplacés et par la sécurisation des couloirs commerciaux qui irriguent le marché sous-régional. À ce titre, toute initiative jugée susceptible d’apaiser les tensions bénéficie d’une écoute attentive. Une source diplomatique gabonaise estime que « la recherche de stabilité en Centrafrique demeure un enjeu collectif, car elle conditionne la fluidité des corridors portuaires ».
La carte du temps long
En définitive, la réapparition de Bertin Béa à Brazzaville illustre le rôle singulier que joue la diplomatie congolaise dans l’imaginaire politique d’Afrique centrale : un lieu où les trajectoires se croisent, se recalibrent, puis repartent irriguer leurs sphères d’origine. L’histoire retiendra peut-être que cette escale fluviale aura contribué, à sa modeste échelle, au tissage de nouveaux équilibres à Bangui. Pour l’heure, le processus reste suspendu aux financements recherchés et à la capacité du protagoniste à composer avec l’environnement institutionnel centrafricain. Comme le souligne un observateur chevronné de la région, « le Bassin du Congo vit au rythme d’une diplomatie patiente, rarement spectaculaire, mais souvent déterminante ».